AccueilDroit et Chiffre« Avocats, magistrats, greffiers, nous avons tous subi les mêmes difficultés »

« Avocats, magistrats, greffiers, nous avons tous subi les mêmes difficultés »

Le ministère de la Justice, a annoncé le budget pour 2023 : 222 M€ consacrés à la justice de proximité. Le gouvernement entend lutter plus efficacement contre la petite délinquance du quotidien. Rencontre avec le bâtonnier d'Aix-en-Provence.
« Sur le contenu des autres propositions du Garde des Sceaux, on verra, avec un projet de loi concret, si elles sont pragmatiques et susceptibles d’être mises en place », confie Me Benoît Porteu de la Morandière, bâtonnier d’Aix-en-Provence.
M.Debette - « Sur le contenu des autres propositions du Garde des Sceaux, on verra, avec un projet de loi concret, si elles sont pragmatiques et susceptibles d’être mises en place », confie Me Benoît Porteu de la Morandière, bâtonnier d’Aix-en-Provence.

Droit et Chiffre Publié le , Propos recueillis par Martine DEBETTE

Les Nouvelles Publications : Quel regard portez-vous sur le projet de réforme de la justice ?

Me Benoît Porteu de la Morandière : Il s’agit plutôt d’idées que d’un projet puisque, à ce jour, les messages de notre Garde des Sceaux ne sont suivis d’aucun texte. Ces derniers mois et années, il y a eu un certain nombre de manifestations qui ont démontré les insuffisances dont les professionnels du monde judiciaire se plaignaient depuis longtemps. Avocats, magistrats, greffiers, nous avons tous constatés et subis les mêmes difficultés. Parmi les annonces, et en toute objectivité, il y a de bonnes nouvelles. L’augmentation substantielle du budget consacré à la justice en est une. Elle marque une forme de prise en considération de l’état de notre justice et de certains des problèmes que nous rencontrons au quotidien. Pour le reste, l’essentiel des annonces du Garde des Sceaux sont la résultante des États généraux de la Justice qui se sont tenus sous l’égide de Jean-Marc Sauvé et dont l’état d’esprit était de repenser la justice. Mais pour l’instant, on a pioché des petits morceaux en se disant que si on mettait un peu de sel et un peu de poivre, on arriverait à améliorer le fonctionnement global. On a oublié et écarté l’aspect philosophique et la réflexion générale autour de la justice qui avait présidé au contenu desdits travaux.

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Est-ce que ces "idées" correspondent aux attentes ?

De manière très relative. Concernant le budget, le geste est bien sûr louable et appréciable, mais il est également insuffisant. D’aucuns penseront que l’on se plaint toujours, mais il faut comprendre et mesurer le contexte. La réalité c’est que l’on court après le retard. Les augmentations comme celles-ci, fussent-elles substantielles, sont insuffisantes pour atteindre le niveau d’exigence que l’on devrait avoir. Ça permettra bien sûr d’améliorer la situation, mais pas le retard accumulé. C’est aussi le constat que la justice, qui est l’un des trois piliers de l’État, a été très longtemps le parent pauvre, insuffisamment bien traitée. Donc, c’est bien, mais ce n’est pas assez. Sur le contenu des autres propositions, on verra, avec un projet de loi concret, si elles sont pragmatiques et susceptibles d’être mises en place. Mais il y a un grand axe privilégié pour la procédure civile, c’est le développement des modes amiables.

Benoit Porteu de la Morandière- Aix-batonnier
L'avocat Me Benoît Porteu de la Morandière, 43 ans, a pris ses fonctions à la tête du Barreau d'Aix le 1er janvier 2022. (Crédit : M.Debette)

Êtes-vous en accord avec ce choix ?

C’est une option et un outil, mais pas une solution. On nous annonce que le développement des modes amiables serait une nouvelle manière d’exercer, un canal que l’on peut parfois emprunter. Mais ce n’est pas ça qui résoudra les problèmes de la justice puisque, depuis toujours, les avocats font de l’amiable. Par nature, la confidentialité de nos échanges permet le règlement amiable des litiges et la quasi-totalité des avocats l’utilise avant de saisir une juridiction. La saisine d’un tribunal est souvent notre dernier recours parce que, et lorsque, le reste a échoué. Un justiciable n’est pas pour autant régulièrement disposé à faire des concessions. Pour lui, derrière son dossier, il y a toujours une histoire, parfois une vie, et souvent des souffrances, ainsi que le passif qui les accompagne. Donc, oui c’est une option, mais qui à mon sens demeurera résiduelle. Césure, développements de la médiation etc., pourquoi pas ! Mais les penser comme la solution, c’est avoir une vision très partielle de la réalité de nos activités et de celles de nos juridictions. Ce qui ne veut pas dire que nous n’y travaillons pas, et depuis longtemps. Le barreau d’Aix-en-Provence est d’ailleurs très en avance puisqu’il dispose d’un centre de médiation particulièrement performant, et ce depuis une vingtaine d’années. Nous travaillons par ailleurs, avec la Cour d’Appel et sous l’égide du Premier Président, à la rédaction d’une charte, qui devrait être signée en avril, et qui devrait être ensuite développée dans les tribunaux judiciaires du ressort. Nous discutons beaucoup des rôles de chacun, de l’opportunité, du moment et de la manière de développer ces modes amiables. Et nous avons collectivement des progrès à faire dans ces domaines. Mais penser que la justice se portera mieux uniquement grâce à ce type de rustine est une illusion.

Quid du fameux guichet unique ?

Beaucoup de dépit ! Une nouvelle fois, on nous a imposé une modification du mode de fonctionnement des greffes des tribunaux de commerce, non concertée, mal organisée et avec un manque manifeste d’anticipation. Greffiers, avocats et professionnels du chiffre et du droit, nous sommes conjointement confrontés à d’inédites difficultés. Nous avons été mis devant le fait accompli, avec l’obligation d’utiliser une structure qui n’était pas prête et qui ne l’est toujours pas. Nous demandions simplement un moratoire. Mais même ça nous ne l’avons pas obtenu, et nous n’avons été ni écoutés ni entendus. Les difficultés nous remontent de manière régulière, chronique, et les seuls pansements ou palliatifs proposés sont la mise en place de lignes de téléphone d’urgence. Il n’y a, à ce jour, aucune amélioration notable avec un risque que cette situation perdure durant plusieurs mois. Le problème est que nous n’avons pas de marge de manœuvre, que nous subissons cette situation, et que tout cela se fait une nouvelle fois au détriment des justiciables. Cette activité implique de la réactivité. Lorsque nous faisons une cession de fonds, une création de société, etc., il est impératif que ces formalités soient effectuées dans des délais raisonnables. Aujourd’hui, nous sommes obligés de passer par ce guichet unique, avec des tribunaux de commerce qui n’ont plus la main et ne sont pas toujours informés des démarches en cours, bien que déposées dans des délais raisonnables. C’est un des exemples caractéristiques de ce que permet en principe la proximité et qu’on nous retire, sous couvert de modernité, en faisant perdre l’efficacité de systèmes qui ont fait leurs preuves et qui fonctionnent.

Concernant le budget et le manque de magistrats ?

L’augmentation annoncée du budget a pour principal objet le recrutement de magistrats et d’assistants de justice. Il faut apporter des têtes et des bras dans les juridictions qui sont en manque récurrent et de manière de plus en plus importante. Ce que nous ressentons, nous, dans le mal-être de certains magistrats et personnels de greffe, c’est ce manque d’effectifs qui rend leur tâche de plus en plus lourde et pesante. Il faut donc se réjouir de cette volonté de recruter. Et espérer que nous pourrons ainsi réduire les délais. Dans l’intérêt de tous, et en particulier dans celui du justiciable qui doit demeurer l’unique priorité. Ce sujet est d’ailleurs systématiquement évoqué, notamment lors des rentrées solennelles, par les chefs de juridiction qui doivent faire face à des volumes de travail croissants. S’il est bénéfique pour eux, il le sera pour nous, et apportera je l’espère de la sérénité dans le travail de chacun.

A mi-mandat, quel est votre bilan ?

Je ne suis pas sûr que je puisse déjà faire un bilan, et moins encore qu’il m’appartienne de le faire. J’ai pris mes fonctions le 1er janvier 2022, et ce que je peux vous dire, c’est que je suis toujours aussi enthousiaste et que j’essaie de mettre toute mon énergie dans la modernisation et la promotion de mon barreau. Tout va très vite, parfois trop vite, et les sujets comme les projets s’enchaînent et se bousculent. Mais j’ai la chance d’être particulièrement bien entouré, par le personnel de l’Ordre d’abord, par nos élus ensuite, et par tous les confrères qui, bénévolement, offrent de leur temps au bien commun. Sans eux, je ne ferais rien. Alors, on fera le bilan plus tard. Pour l’instant je suis totalement impliqué dans cette seconde année qui va être riche de débats, de projets, et d’évènements. Jusqu’au 31 décembre, mon seul sujet consiste à restituer la confiance que l’on m’a donnée.

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