La future cité judiciaire de Marseille sera construite au sein d’Euroméditerranée. Ce lundi 20 novembre, ce n’est pas le procès du ministre de la Justice devant la Cour de justice de la République qui fait parler à Marseille. L'annonce par Eric Dupond-Moretti d’implanter la future cité judiciaire de Marseille en dehors du centre-ville, derrière la tour de la CMA CGM, a fait son effet. L’État va investir 350 millions d'euros dans la construction d'un bâtiment moderne, mais pas en cœur de ville. Deux questions se posent : quel avenir pour les bâtiments actuels abritant les différents tribunaux et quelles conséquences sur l'activité économique du cœur de ville ?
La décision d'Eric Dupond-Moretti pas une surprise
Si le ministre a pris soin d’appeler certains acteurs du dossier avant son annonce publique, comme le bâtonnier Jacquier, beaucoup s’attendaient à une telle décision. Les services de l’État ne cachaient pas leur intention de construire une cité judiciaire moderne au cœur d’Euroméditerranée. Et les fuites de ces dernières semaines l'ont confirmé... Un projet, en principe, plus rapide et plus simple qu’une reconstruction sur site, autour de Monthyon. Mais cette décision va entraîner une série de conséquences diverses, notamment pour le centre-ville de Marseille et le quartier autour de la place Monthyon.
La cité judiciaire : des enjeux politiques, économiques et politiques
Conscient des enjeux, le garde des Sceaux a déclaré : « Nous ne laisserons pas le centre-ville de Marseille se dévitaliser. » Le dossier de la santé du commerce en centre-ville de Marseille est au cœur de nombreuses attentions. Un sujet polémique et politique, qui suscite les passions et les débats, comme le confirme les réactions de Renaud Muselier, de Martine Vassal, ou celle de Laurent Lhardit, adjoint de la ville de Marseille. Le sujet va être au coeur des joutes politiques pendant les prochains mois et années, tout comme il sera au cœur des enjeux urbanistiques.
Les réactions des élus et décideurs politiques
Voici les réactions des élus et acteurs économiques à l'annonce d'Eric Dupond-Moretti, recueillies par la rédaction des Nouvelles Publications :
- Sophie Camard, maire des 1e et 7e arrondissements :
« M. le Maire de Marseille avait envoyé à M. le Garde des Sceaux un courrier défavorable le 20 février 2023. Je m’étais exprimée sur le sujet en séance publique du Conseil municipal, le 7 juillet dernier, dans un contexte post-émeutes urbaines, catastrophique pour le tissu économique et commercial du centre-ville. Cette annonce s’ajoute au maintien forcé du projet de tramway du Cours Pierre Puget vers la place du 4 septembre, malgré l’opposition de la Ville. Ce projet agite déjà les inquiétudes de tout le tissu commercial le long du tracé. M. le Garde des Sceaux a d’ailleurs cité ces travaux potentiels du tramway pour justifier… qu’on ne pouvait pas en rajouter davantage sur un scenario de maintien d’une Cité judiciaire sur place ! J’avais représenté M. le Maire de Marseille en Préfecture le 28 juillet dernier, en alertant que si le départ était confirmé, il faudrait à tout le moins une grande opération de revitalisation, à l’image des contraintes que l’État impose aux grandes entreprises de plus de 1.000 salariés lorsqu’elles ferment un site de production. Or l’enveloppe annoncée de 350 Millions d’euros ne concerne que le futur projet bâti et pas les opérations de revitalisation nécessaires sur site. La Métropole a déjà du mal à fonctionner sans sa ville-centre. Si maintenant le centre-ville de la ville-centre est vidé d’une grande activité historique, quel projet de développement mobilisateur allons nous porter tous ensemble ? Je demande à l’État, à la Ville et à la Métropole de relancer d’urgence le Projet d’Aménagement Partenarial du centre-ville pour y inclure un volet économique renforcé, incluant cette problématique de la Cité judiciaire.»
- Renaud Muselier, président de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur :
« Nous voulons collectivement remercier le Ministre de la Justice pour cet effort considérable de l’Etat en faveur de Marseille et de la Région Sud. Il était essentiel que les Marseillais ne soient pas privés de cet investissement majeur » a réagi Renaud Muselier, le président de la Région Provence-Alpes Côte d’Azur. Et Renaud Museliet d’en profiter pour tacler la majorité marseillaise : « l’absence totale de proposition sérieuse de la Mairie a poussé l’Etat à prendre ses responsabilités, en choisissant ce projet. L’implantation sur la zone Euroméditerranée de ce site pose donc une question centrale : à quel moment la Ville de Marseille va-t-elle enfin se saisir du dossier du centre-ville ? Où est la mairie ? Le départ programmé de la cité judiciaire exige, plus que jamais, que l’on entende les acteurs économiques du centre-ville ; commerçants, artisans, restaurateurs, mais aussi l’ensemble des professions du droit installées ! »
Martine Vassal, présidente de la métropole Aix-Marseille Provence :
« Merci Monsieur le ministre, il faut maintenant que le maire de Marseille prenne ses responsabilités et entende les inquiétudes légitimes du monde économique local, qui craint que le centre-ville de la deuxième ville de France tombe en désuétude. Alors que la métropole et le département ont largement contribué à son renouveau quelle est la vision du maire de Marseille pour sa ville ? Avec l’ensemble des élus métropolitains, départementaux, nous serons au rendez-vous pour aider les commerçants, les restaurateurs et tous ceux qui participent à faire vivre le centre-ville de la deuxième ville de France, comme nous l’avons fait l’été dernier pendant les émeutes en mettant en place une aide exceptionnelle de plus de 10 millions d’euros pour les commerces impactés.»
- Lionel Royer-Perreaut, député de Marseille :
« Que le ministre confirme la création d’une cité judiciaire avec un investissement important de 300 millions d’euros, c’est une bonne nouvelle ! Cela va permettre à la communauté judiciaire de travailler dans des bonnes conditions : c’est un geste politique fort et apprécié comme tel », débute le député Renaissance, Lionel Royer-Perreaut. Toutefois, « je suis déçu car j’ai mis beaucoup d’ardeur et de volontarisme à défendre la Capelette. » Mais il reconnait qu’« Euromed le foncier est maitrisé, c’est un atout. De plus, c’est le préfet qui signe le permis de construire, je pense que dans l’esprit du Garde des Sceaux c’est aussi un atout supplémentaire quand on sait les prises de positons qu’avait eu Benoit Payan », détaille-t-il. Lionel Royer-Perreaut appelle à une mobilisation générale. J’aimerais qu’il y ait un volontarisme partagé par l’ensemble des acteurs, pour travailler à redynamiser la Vallée de l’Huveaune car c’est le parent pauvre et est un peu l’oubliée de la politique municipale. »
Annonce @E_DupondM de l’implantation de la future cité judiciaire sur @Euromed_MRS desservi par les transports en commun au ♥️la + grande opération de renouvelmt urbain d’Europe 👏. Le défi ▶️la future vocation des actuels bâtiments en centre-ville pic.twitter.com/kdd7DFu67I
— Laure-Agnès Caradec (@lacaradec) November 20, 2023
- Laurent Lhardit, adjoint au maire de Marseille :
« Benoît Payan a constamment plaidé en faveur du maintien en centre-ville de la cité judiciaire. Mme Vassal comme M. Muselier ont constamment refusé de défendre cette position. Voilà les faits qui les disqualifient pour venir maintenant donner des leçons. Les compensations évoquées par le ministre de la Justice résultent de la pression que le maire met sur ce dossier. Nous allons être extrêmement vigilants et nous assurer qu’elles seront à la hauteur des enjeux de la redynamisation du centre-ville. »
- Mathieu Jacquier, bâtonnier de Marseille :
A la sortie du Palais de justice, Mathieu Jacquier, le bâtonnier de Marseille a fait part de sa réactions : « Le ministre m’a appris sa décision ce matin, par téléphone, avant son arrivée à Marseille. J’en prends acte. Ce n’est évidemment pas le choix que les avocats soutenaient. Je ne peux pas dire que cette décision me remplisse de joie...».
« Mais nous allons poursuivre le dialogue, cette fois avec le préfet qui va poursuivre la concertation autour du projet et surtout de l'avenir des bâtiments actuels. Le ministre de la Justice a annoncé sa volonté de garder des activités liées à la justice en centre-ville et de rénover les bâtiments. Nous poursuivons notre mobilisation » a ajouté le bâtonnier de Marseille.
🔴 [Communiqué] Réaction des acteurs économiques suite à l’annonce du ministre de la Justice @E_DupondM
— CCIAixMarseilleProvence (@CCI_AMP) November 20, 2023
du transfert du Palais de Justice du centre-ville de Marseille vers Euroméditerranée @chauvinjl@cpme13@UPE13_@PresidentUmih13@marseilleavocatpic.twitter.com/aGHRXZ3FOy
- La CCI AMP, Mathieu Jacquier, le bâtonnier de Marseille, l’UPE 13, la CPME 13 et l’UMIH 13 :
Dans un communiqué commun, la CCI AMP, Mathieu Jacquier, le bâtonnier de Marseille, l’UPE 13, la CPME 13 et l’UMIH 13 prennent acte de cette décision et se félicitent « de l’engagement de l’Etat d’inscrire cette opération importante de création d’une Cité Judiciaire moderne du XXIème siècle dans le cadre du plan Marseille en Grand. » « Cependant, nous regrettons et condamnons - au nom du monde économique et plus généralement au nom des Marseillaises et Marseillais - cette décision pour plusieurs raisons. Tout d’abord, sur la méthode inique du Garde des Sceaux qui a pris seul sa décision. Une décision prise depuis Paris que nous jugeons « hors sol » et ce, malgré les positions locales contraires » ajoutent ces derniers. « De plus, M. Dupont-Moretti a profité d’un déplacement à Marseille pour faire cette annonce, en marge de la prise de fonction du nouveau procureur de Marseille, Nicolas Bessone, devant les magistrats, mais sans avoir convié les représentants du monde économique qui se battent pour maintenir le Palais de Justice dans le centre-ville de Marseille depuis plus de trois ans. »
Le monde économique dénonce « une concertation « alibi », à charge, réalisée à la suite de l’insistance commune de l’Ordre des Avocats et des acteurs économiques, avec des chiffres (notamment sur les coûts des différentes hypothèses d’implantation) contestables. Nous regrettons d’autant plus cette décision qui ne prend aucunement en considération les conséquences économiques, sociales et symboliques pour notre centre-ville, pour ceux qui y travaillent et pour ceux qui y vivent ». « Nous nous étonnons d’autant plus d’une telle annonce alors même qu’aucune piste concrète n’a été évoquée sur le devenir du Palais de Justice actuel, un bâtiment emblématique du centre-ville de Marseille, cher au cœur des Marseillaises et des Marseillais ! »
Au titre du plan Marseille en Grand, « nous demandons à la ministre en charge de ce plan, Mme Sabrina Agresti-Roubache, de reprendre ce dossier dans les meilleurs délais. Dans des conditions plus proches de la réalité du terrain, du projet, de l’impact socio-économique avec un véritable chiffrage des travaux envisagés et avec une définition des véritables besoins des magistrats et des professionnels de la justice ».
Le monde économique entend proposer « un véritable plan pour le centre-ville dans le cadre de Marseille en grand permettant de préserver et conforter son attractivité économique et sociale. Cela passe pour nous par la création d’un Euroméditerranée du centre-ville comme ce fut le cas pour le quartier de la Joliette permettant à l’Etat de piloter et de conduire opérationnellement cet enjeu majeur et transversal pour la 2e ville de France; la délimitation d’une zone franche urbaine (ZFU) sur ce périmètre, et le cas échéant), la définition et la co-construction d’un grand projet économique en lieu et place de l’actuel site d’implantation des tribunaux en centre-ville. »
- Philippe Korcia, président de l’UPE 13 :
Joint par téléphone Philippe Korcia rappelle qu'« il y a des bonnes et des très mauvaises nouvelles dans cette annonce.»« Dans les bonnes nouvelles, on peut souligner la confirmation que l'Etat va investir 350 millions supplémentaires dans le Plan Marseille en Grand, à travers la construction de cette cité judiciaire. Etant donné que ce plan est piloté, pour le compte de l'Etat, par Sabrina Agresti-Roubache, les acteurs marseillais auront leur mot à dire. Par contre, il y a aussi de très mauvaises nouvelles. Le départ de la cité judiciaire va avoir des conséquences sur l'activité économique en centre-ville. Comme la nouvelle cité judiciaire ne sera pas livrée avant 2030, dans le meilleur des délais, nous avons un peu de temps pour imaginer un plan de revitalisation. Dans les mauvaises nouvelles, je note surtout, qu'une fois de plus, les corps intermédiaires, comme les représentants du monde économique n'ont pas été consultés. Nous avons appris la nouvelle par l'annonce du ministre. »
- Guillaume Sicard, président de la fédération Marseille :
Guillaume Sicard est le président de la fédération Marseille centre regroupant 800 commerçants et associations. En ce début d’année, en collaboration avec la Chambre de commerce et d’industrie Aix-Marseille Provence et le Barreau de Marseille, une étude d’impact a été lancée. L’objectif était de prouver les conséquences du choix de l’emplacement de cette cité judiciaire sur l’activité du centre-ville. « C’est une catastrophe. On s’est battu, on a essayé de faire des choses, d’expliquer par A + B qu’il y avait toute une activité économique derrière ce Palais, ça n’a pas suffi pour conserver l’établissement en centre-ville », explique-t-il amèrement. « Cela va à l’encontre de ce qu’on essaye de mettre en place depuis plus de 20 ans à savoir redynamiser le centre-ville. » « Nous on se mettra en rang pour expliquer notre mécontentement », conclut-il.
- Caroline Baron, présidente Fédération nationale de l’habillement région Sud Paca :
« Ce n’est pas une bonne nouvelle que nous venons d’apprendre ce matin. Cela fait des mois que nous portons majoritairement la parole de laisser le palais de justice en centre-ville. Toutes les villes importantes en région on le leur en centre-ville. Et bien Paris décide qu’il doit partir à Euromed. Mais Euromed n’est pas le centre-ville ! Le tribunal judiciaire est déjà parti l’an dernier à la caserne du Muy, à la Belle-de-Mai. Ce sera une vraie perte pour les commerçants et restaurateurs marseillais qui va créer un déséquilibre profond. Je trouve cela dommage et inquiétant. Bien sûr, je préfère le choix d’Euromed à d’autres options qui étaient évoquées, ce quartier est bien desservi par les transports. Néanmoins, le « grand Marseille » dont on parle depuis des mois ne sera pas solide si on déshabille le centre, pour habiller la périphérie. En tant qu’acteur économique, ça me touche que notre parole n’ait pas été entendue. Et quid des futurs bureaux vacants, laissés par les avocats qui vont sans doute à terme, pour la plupart, déménager ? L’hyper centre est requalifié avec succès depuis des mois. On ne peut être qu’en colère suite à cette décision. »