Regards croisés sur « Ethique et médias » : tel était le thème au menu de la pause-déjeuner, le 21 novembre dernier à la Tour Méditerranée à Marseille, au siège du Conseil régional de l’ordre des experts-comptables (Croec) MarseillePaca. Pour introduire le débat, MohamedLaqhila, alors président en fonction du Croec*, n’a pas hésité à citer l’extrait d’un article d’EmileZola paru dans le supplément littéraire du Figaro du 24 novembre 1888 : « Mon inquiétude unique, devant le journalisme actuel, est l’état de surexcitation nerveuse dans lequel il maintient la nation. […] Et l’on en arrive à se demander avec anxiété si, dans des circonstances véritablement décisives, nous retrouverions le sang-froid nécessaire aux grands actes. »
Si l’exercice du métier a depuis évolué, le débat sur l’éthique des journalistes demeure, à l’heure où « la communication est partout » avec la révolution numérique, comme le rappelle Elsa Charbit, rédactrice en chef de Radio JM chargée d’animer les échanges. Or, pour Lauren Malka, conseillère littéraire TF1 et auteur de « Les journalistes se slashent pour mourir »**, « le web impose des règles dans le traitement de l’information et pour faire de l’audience ». Et selon elle, « les règles de Google » - traiter l’information rapidement, être le premier à la diffuser afin de la faire « remonter » - « peuvent être très dangereuses sur l’éthique des journalistes ».
« On n’est pas journaliste sans éthique »
Un discours auquel ne souscrit pas Jean-François Eyraud, fondateur et rédacteur en chef du site d’information Go’Met :
« Il y a un phénomène d’obésité avec des informations qui se reproduisent et qui sont très identiques partout. Mais le numérique apporte beaucoup de moyens supplémentaires au journaliste pour s’exprimer. »
Et de se réjouir notamment du « dialogue avec le lecteur extrêmement poussé » que permet le web : « le journaliste descend de son piédestal et accepte de discuter avec le lecteur ».
Pour Bruno Le Dreff, délégué régional de France 3 Provence Alpes, « l’éthique est quelque chose de toujours présent dans les rédactions ». « On n’est pas journaliste sans éthique, insiste-t-il. Et on a une éthique toute simple : dire la vérité. Car si on achète un journal, si on allume la radio, c’est pour entendre la vérité. » Ainsi, à ses yeux, « ce qui change, c’est que ça va beaucoup plus vite qu’avant ». Et d’estimer qu’« être journaliste aujourd’hui, c’est beaucoup plus difficile qu’il y a 15 ans, et beaucoup plus difficile qu’à l’époque de Zola ». Quant à Laurent Sabbah, enseignant en communication, intervenant BFM et auteur de « La communication expliquée à mon patron »***, il observe certes « une ouverture de la parole via de nouveaux canaux », mais relève qu’« en même temps, il y a un contrôle qui est encore plus virulent de la part de l’économique ou du politique : c’est contre-intuitif ».
Mohamed Laqhila estime pour sa part qu’« on doit être avant tout des consommateurs acteurs. C’est le rôle de l’Education nationale de former une population pour lire tout ce qu’on raconte, tout ce qu’on nous présente », plaide-t-il. Et de conclure par un message : « Ne jamais prendre pour argent comptant ce qu’on nous délivre ».
Une profession « au service de la démocratie »
Changement de décor le 12 décembre, dans la salle des rotatives de La Marseillaise cette fois - comme une marque de soutien au quotidien régional en difficulté -, pour aborder la thématique « Ethique et politique ». « Qu’est-ce que les experts-comptables sont venus faire dans cette galère ? » : c’est la question que s’est posée à haute voix Gaby Olmeta. « Deux mots que l’actualité se borne à opposer au risque de favoriser le poujadisme », souligne l’animateur du débat retransmis en direct sur les ondes de Radio Dialogue. Et Mohamed Laqhila de souligner que depuis la création de la Commission nationale des comptes de campagne, suite aux « affaires » il y a une vingtaine d’années, « la profession est au service de la démocratie ». « Derrière chaque candidat, un expert-comptable va attester les comptes de campagne. Et c’est pareil pour les partis politiques, 400 en France qui vivent de fonds publics, derrière lesquels on retrouve deux commissaires aux comptes. Donc, c’est le législateur qui nous a placés au milieu de la problématique de l’argent public. » Un contrôle que les experts-comptables souhaiteraient étendre aux collectivités locales : « le commissaire aux comptes doit intervenir au premier euro dépensé », plaide MohamedLaqhila.
Pour lancer ce débat, le professeur Gilbert Benayoun, président du groupe d’Aix****, fait référence l’économiste et sociologue allemand Max Weber. « Il différencie l’éthique de conviction et l’éthique de responsabilité », souligne le professeur d’économie, en précisant que la première « fait plus attention aux intentions qu’aux résultats », la seconde s’attachant davantage aux résultats. Gilbert Benayoun estime ainsi que « l’éthique de conviction, c’est être dans la justice, dans une paix juste », alors que « l’éthique de responsabilité, c’est être juste pour une paix ». Et tout en appelant à faire attention « aux compromis pourris », à l’instar des accords de Munich à la veille de la Deuxième Guerre mondiale, le professeur en vient au conflit israélo-palestinien sur lequel il travaille abondamment au sein du groupe d’Aix. « Chacun dira que la justice est de son côté. Donc on se contentera d’une paix et on évitera la question des narratifs. Le compromis, c’est un jeu perdant-perdant, mais au moins, tout le monde sera vivant. »
« La politique, ça doit être l’engagement de mener des batailles »
A ses côtés, Pierre Dharréville, président des Editions des fédérés - la société éditrice de La Marseillaise - et secrétaire départemental de la Fédération du PCF des Bouches-du-Rhône, rappelle que « la politique connaît des crises profondes », et notamment « une crise de sens » alors même qu’« une des fonctions de la politique est de fabriquer du commun ». Pour autant, à l’heure où « existe aussi la tentation d’une politique sans citoyens », avec « une politique qui échappe aux gens quoi qu’ils fassent », à l’heure où « les valeurs de la République, liberté égalité, fraternité, sont mises en concurrence par la place prise par l’argent dans nos sociétés », il considère que « la politique ne peut pas se limiter aux intentions ou au bon sens ».
« Toute idéologie doit être critiquable, mais il faut des idées, il faut proposer des issues à la société », plaide-t-il. Et de conclure en estimant que « la politique, ça doit être l’engagement de mener des batailles. Quand on se limite au comptable, on se cantonne au réel qu’on peut faire rentrer dans des cases. »
Quant Xavier Palou, directeur l’école de management EMD (Entreprendre manager développer), il a rapproché l’éthique de l’anthropologie, car « la notion de ce qu’est un être humain pose la question de l’éthique ». Il estime ainsi que « l’anthropologie devrait être une matière fondamentale quand on enseigne le management car savoir comment fonctionne un être humain, cela donne des finalités ». Et de préciser au sein de l’EMD, « on enseigne beaucoup les business case***** et on a développé des cas de vertu ».
Le mot de la fin est revenu à Mohamed Laqhila : « L’homme politique gère le quotidien, l’homme d’Etat a une vision. J’aimerais qu’on ait tous une vision. »
* Lionel Canesi lui a succédé le 16 décembre.
* Paru aux Editions Robert Laffont.
** Paru aux éditions Johnson & Browson Publishing.
**** Le groupe d’Aix est un rassemblement informel. Il regroupe des économistes palestiniens, israéliens et internationaux qui cherchent à promouvoir des solutions économiques « gagnant-gagnant » pour les Israéliens et les Palestiniens.
***** En management, une proposition structurée qui marque un changement dans la conduite des affaires.