AccueilDroit et ChiffreColloque de l'Ucecaap : L'expertise est-elle soluble dans la déontologie ?

Colloque de l'Ucecaap : L'expertise est-elle soluble dans la déontologie ?

« La déontologie dans l'expertise » : tel était le thème du colloque organisé par l'Union des compagnies d'experts près la cour d'appel d'Aix-en-Provence (Ucecaap) ce 17 novembre à Marseille. Un enjeu crucial à l'heure de la montée en puissance de l'exigence de transparence dans toutes les institutions. Compte rendu.
Robert Giraud, président de l'Union des compagnies d'experts près la cour d'appel d'Aix-en-Provence (Ucecaap).
G. Majolet - Robert Giraud, président de l'Union des compagnies d'experts près la cour d'appel d'Aix-en-Provence (Ucecaap).

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A l'heure où le législateur promulgue un texte sur la transparence de la vie publique et la lutte contre les conflits d'intérêt, l'expert de justice peut-il échapper au grand mouvement moralisateur qui saisit les institutions publiques ? Cette épineuse question figurait en toile de fond du colloque organisé ce 17 novembre au Pharo, à Marseille, par l'Union des compagnies d'experts près la cour d'appel d'Aix-en-Provence (Ucecaap). Pour Eric Négron, impossible d'imaginer les experts rester à l'écart de cette quête éthique. « La justice du XXIe siècle a besoin de transparence », rappelle le Premier président de la cour d'appel d'Aix. Alors que les magistrats sont désormais tenus d'effectuer une déclaration d'intérêts, Eric Négron aimerait que cette démarche s'applique aux experts « en amont de toute expertise ». « Il en va de la confiance du citoyen envers la justice », résume Robert Gelli. Pour le procureur général près la cour d'appel d'Aix, « il n'est pas de justice équitable sans expertise équitable ». A cette aune, « il est important que celui qui contribue à la décision du juge obéisse aux mêmes règles d'impartialité ».

Ces remarques des hauts magistrats mettent l'accent sur l'une des carences du système actuel : contrairement à certaines professions réglementées comme les médecins, les experts ne voient leurs missions encadrées par aucun code de déontologie. Et pour cause : l'expertise n'est pas une profession. Faute de code, l'expert doit donc s'astreindre à une vertu proche du sacerdoce. « La déontologie donne une effectivité à la morale. C'est plus qu'un simple discours sur les devoirs. C'est une ascèse », relève le philosophe Pierre Le Coz.

L'expert ce héros…

Fin 2011, le législateur a posé le premier jalon d'une charte de l'expertise à travers la loi relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament. « Ce texte édicte les principes de l'expertise en matière sanitaire. Cette dernière doit répondre aux principes d'impartialité, de transparence, de pluralité et du contradictoire », explique Pierre Le Coz. Dans ce corpus, l'irruption du devoir de transparence constitue une petite révolution pour le milieu médical jusque-là habitué au culte du secret. L'entrée en application de ce texte a d'ailleurs ébranlé le cercle des experts médicaux. En marge de leur action d'auxiliaire de justice, nombreux sont ceux qui mènent des travaux pour les laboratoires. Une double casquette désormais interdite par la loi… et par l'opinion. Conséquence : sommés de choisir entre une activité parfois grassement rémunérée et l'expertise, 1 300 experts médicaux ont démissionné de l'Agence du médicament*. « Cette vague de départs pose la question de la juste rémunération de l'expert », constate Pierre Le Coz. « Car en l'état, l'expert n'est pas seulement l'ascète des temps modernes… Il en est le héros ! », résume le philosophe.

Les médecins entre secret et transparence

En première ligne dans ce débat, les médecins experts pointent l'incohérence des textes. « En France, la déontologie médicale est réglementée par un code de déontologie établi par décret », rappelle Georges Leonetti. Ce code édicte un certain nombre de principes forts qu'égrène ce professeur de médecine, doyen de la faculté de médecine de Marseille :

« Le médecin exerce sa mission dans le respect de la vie humaine, de la personne et de sa dignité. Il doit également, en toutes circonstances, respecter les principes de moralité, de probité et de dévouement indispensables à l'exercice de la médecine. Il ne peut par ailleurs aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit. »

Un chapitre du code évoque l'exercice de la médecine d'expertise. Et les règles qu'il édicte sont similaires aux exigences du législateur : « Nul ne peut être à la fois médecin expert et médecin traitant d'un même malade. Un médecin ne doit pas accepter une mission d'expertise dans laquelle sont en jeu ses propres intérêts, ceux d'un de ses parents, d'un de ses proches, d'un de ses amis ou d'un groupement qui fait habituellement appel à ses services. »

Reste le champ du sacro-saint secret médical. Un enjeu que le code évoque en tentant d'en baliser les contours. « Dans la rédaction de son rapport, le médecin expert ne doit révéler que les éléments de nature à apporter la réponse aux questions posées. Hors de ces limites, il doit taire tout ce qu'il a pu connaître à l'occasion de cette expertise. » En clair, « l'expert n'a pas de secret pour le juge dans les limites de sa mission », observe Georges Leonetti. A charge pour lui de faire le tri entre ce qui demeure couvert par le secret médical et le contenu de sa mission. Cette marge, qui met en jeu sa responsabilité, percute de plein fouet les exigences morales des partisans d'un code de déontologie de l'expert. Un corpus que le médecin, qui est également vice-président de l'Ucecaap, estime superflu : « Le code de déontologie médicale est un cadre strict qui engage la responsabilité disciplinaire de l'expert. En cas de manquement, celui-ci peut être sanctionné », rappelle-t-il. Dans cette quête hyper déontologique, Georges Leonetti estime nécessaire de préserver un équilibre entre l'indispensable compétence des avis et la volonté de prémunir des conflits d'intérêt. Au risque sinon de voir l'expertise se vider de sa matière grise. « Entre volonté d'indépendance, d'impartialité et quête de transparence, les frontières sont difficiles à cerner », note-t-il.

Dérive anglo-saxonne ?

La montée du rigorisme ne perturbe pas que les médecins. Expert-comptable de justice agréé près la Cour de cassation, Didier Preud'homme pointe « une dérive anglo-saxonne où l'extrême rigorisme s'oppose au dépassement des limites ». Dans ce schéma, « l'expert doit garder à l'esprit que la lettre tue la loi ». S'il doit évidemment être « déférent vis-à-vis du juge », il ne doit pas pour autant verser « dans l'obséquiosité ».

« L'autorité de l'expert ne vient pas de ses titres mais de sa capacité à convaincre », estime-t-il.

Ce talent pédagogique doit le pousser à connaître ses propres limites : « L'expert doit savoir dire : "je ne sais pas" et se faire épauler par un sapiteur ». Et Didier Preud'homme de tenter un résumé de sa mission : « Il doit participer au travail de mémoire des faits et ce faisant de leur compréhension. Ce qui suppose qu'il soit libéré de la servitude de ses passions. » Une rigueur morale que Spinoza avait définie dans une formule : « Ne pas se moquer, ne pas déplorer, ne pas détester mais comprendre ». Une formule assortie d'un avertissement en latin « Caute ! » : « Prudence ! ». La mère de toutes les vertus…

Querelles d'experts

Pour les professionnels de justice, la déontologie de l'expertise renvoie inévitablement à sa propre déontologie. « Le bâtonnier est le garant du respect de la déontologie chez les avocats. Il "bâtonne" quand il constate un manquement », souligne Geneviève Maillet, bâtonnier du barreau de Marseille. Cette éthique professionnelle, les avocats entendent la voir respectée à tous les niveaux de l'institution judiciaire. « Le rôle de l'avocat est de défendre la vérité d'un client. Or, souvent cette vérité est masquée. C'est pour cette raison que l'on fait appel à des experts. Ils sont là pour apporter une réponse technique à une interrogation juridique. » Parfois, les avis de ces derniers divergent. « Ces querelles d'experts imposent d'être extrêmement rigoureux sur le plan déontologique », note le bâtonnier phocéen. Cette exigence va de pair avec l'évolution de la pratique judiciaire marquée notamment par la montée en puissance de la médiation. Un mode alternatif qui engendre l'émergence d'une nouvelle catégorie d'experts : « les experts médiateurs ».

L'évolution des techniques impacte également les pratiques. La plus notable est Opalexe, la plateforme de dématérialisation des expertises judiciaires. « Un outil qui a suscité beaucoup de questionnements », souligne Geneviève Maillet. Pour l'avocate, « ces nouveaux instruments doivent être intégrés à la réflexion sur la création d'un code de déontologie expertale ». Car le risque serait de contribuer à semer le germe du litige dans des débats déjà passablement compliqués. En ajoutant une querelle d'experts numériques à la traditionnelle querelle d'experts. « En matière d'expertise, il n'y a pas de place pour le doute ! », insiste le bâtonnier. Et de paraphraser René Char : « Les mots savent des choses que l'on ne sait pas… ».

* Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.

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