Les Nouvelles Publications : Comment concilier les ambitions portées par la Chambre régionale des entreprises de l’économie sociale et solidaire Provence-Alpes-Côte d’Azur (Cress Paca) et le statut de la chambre qui limite vos financements ?
Bruno Huss : Un petit point historique pour répondre à cette question. En 2015, quand Denis Philippe est élu président de la Cress Provence-Alpes-Côte d’Azur, nous avons travaillé à la construction d’un modèle économique ambitieux, mais qui reste quand même fragile. Je m’explique : la loi dite Benoît Hamon de 2014 a confié aux Cress des missions consulaires, à peu près correspondantes à celles des Chambres de commerce et d’industrie (CCI) ou des Chambres de métiers et de l’artisanat (CMA), mais sans leur en donner les ressources financières. La loi n’est pas allée jusqu’au bout car Bercy a mis son veto sur la définition d’une nouvelle taxe sur les entreprises pour financer l’Economie sociale et solidaire (ESS).
A la Cress, nous n’avons pas de taxe pour frais de chambre… Denis Philippe milite afin que l’Etat accorde enfin aux Cress les moyens qu’elles devraient avoir. Il a donc fallu trouver des solutions pour mobiliser de nouvelles sources de financement et stabiliser notre budget. C’était la seule solution pour nous permettre d’appliquer les objectifs de la mandature.
Comment avez-vous diversifié et renforcé le budget de la Cress ?
Nous ne voulions pas tomber dans une logique de dépendance envers des pouvoirs publics et leurs financements. Pour cela, il a fallu fixer une politique de diversification autour de la logique des trois tiers. Un tiers des financements proviennent de l’Etat, qui finance les fonctions régaliennes de la Cress, et des collectivités. La Région Provence-Alpes-Côte d’Azur est notre premier partenaire, puisqu’au travers de la loi NOTRe [Loi portant sur la Nouvelle Organisation territoriale de la République, NDLR], elle a des compétences économiques. Mais ce type d’aide nécessite un délai d’encaissement de six à neuf mois.
Denis Philippe, notre président, a voulu développer les adhésions en augmentant le nombre des adhérents directs. Cela a été une de ses premières décisions. Jusqu’ici, adhéraient les têtes de réseau, qui sont dans la gouvernance de la Cress, mais pas directement les adhérents de ces réseaux, c’est-à-dire l’ensemble des coopératives, des mutuelles, des associations, etc. Bref, le gros des troupes. Nous sommes allés chercher ces structures en les faisant adhérer directement à la Cress. Pour cela, nous avons embauché un développeur, qui est allé à leur rencontre et leur a proposé de bénéficier des services de la Cress contre une adhésion. Mais développer les adhésions nous oblige à développer les services, et donc à étoffer nos équipes. On entre là dans un engrenage qui nous demande de nous développer sans cesse. Pour une association, la cotisation est à 200 ou 250 €.
Et le troisième tiers du financement de la Cress provient des appels à projets, de collectivités ou d’autres. En échange d’un service à rendre, il y a des recettes pour la Cress.
Pour développer ces services, la Cress a besoin d’une équipe plus étoffée. Quand est-il ?
Au-delà des membres du bureau et du conseil d’administration, nous disposons d’une équipe d’une dizaine de salariés, pour un budget d’un million et demi d’euros. C’est très peu et les financements cités ne suffisent pas. Sur les adhésions, il n’y a pas de marge, sur les appels à projets non plus.
On est dans cet engrenage où la Cress, sous l’égide de Denis Philippe, s’est beaucoup développée, étoffée et développée. On a une légitimité et un président identifié. Mais l’auto-développement qui s’alimente ne trouve pas en parallèle le financement nécessaire.
C’est pour cette raison que vous avez émis des titres ?
Quand une structure a des moyens supérieurs à ses recettes, la seule façon de tempérer est de puiser dans ses fonds propres. Mais la Cress, à l’origine, n’a pas de fonds propres et avait même, à l’arrivée de Denis Philippe, des fonds propres négatifs. A l’époque, nous avions réalisé une première émission de titres. Nous avions été la première structure en France à utiliser cette possibilité introduite par la loi Hamon, d’émettre des titres. Nous en avions émis pour 400 000 €. L’émission des titres s’était faite avec une partie des banques coopératives et les mutuelles adhérentes.
A l’issue des sept ans, nous avons reconstitué et remboursé ces 400 000 €. Aujourd’hui, la Cress a reconstitué ses fonds propres.
Pourquoi avoir relancé une nouvelle émission de titres en ce début d’année ?
Notre finalité est d’apporter des services afin que les entreprises de l’ESS se développent. Pour y arriver, il faut continuer à étoffer les équipes et travailler à de nouveaux services. Aujourd’hui, nous avons des fonds propres reconstitués, sauf que ces derniers ne sont pas suffisants pour accompagner notre développement.
Pour cela, nous avons souhaité émettre de nouveaux titres afin de financer le fonds de roulement. Nous encaissons les adhésions avec un décalage. Les subventions des collectivités arrivent toujours avec un décalage, entre la décision de la collectivité et le paiement. Ce qui est normal. Pour engager de nouveaux moyens, nous avons donc décidé d’émettre pour 825 000 € de nouveaux titres.

Quels investisseurs ont accompagné la Cress dans cette nouvelle émission de titres ?
Nous avons rassemblé autour de ce projet les quatre banques coopératives de la place : la Caisse d’épargne Cepac, le Crédit agricole Alpes Provence, le Crédit mutuel méditerranéen et la Banque populaire Méditerranée. Adhérentes de la Cress, elles sont venues à la souscription.
Nous avons également pu compter sur le mouvement mutualiste : l’Union régionale de la Mutualité française, la Mut’, qui porte les centres de soins mutualistes du territoire, et Aésio et Solimut, qui ont toujours étaient des soutiens de la Cress.
On est sur un portage global des acteurs l’ESS et tous les porteurs de la première souscription sont là. Nous avons donc aujourd’hui les fonds propres pour développer nos activités en soutien à nos adhérents.
Quels types de services voulez-vous renforcer ?
Il y a un écosystème à faciliter autour des valeurs et des acteurs de l’économie sociale et solidaire. Les associations et entreprises de la Cress et de l’ESS ne fonctionnent pas suffisamment en réseau. Quoi de plus normal pour une entreprise de l’ESS que d’avoir un banquier et une mutuelle issues du secteur. Favoriser le réseau et les rencontres, c’est d’ailleurs l’objectif du salon ESS Sud. Il y a un effet de levier : plus les entreprises de l’ESS travaillent entre elles, plus on renforce l’écosystème.
A côté de ça, il y a d’autres services à mettre en place, qui répondent à un besoin, notamment autour de l’accompagnement aux financements. Je pense à ceux, européens, qui restent complexes à obtenir. Dans l’ESS, nous avons du mal à récupérer ces fonds européens. Pour cette raison, une équipe va chercher des adhérents pour porter des projets et les accompagner dans la constitution des dossiers.
Il y a aussi le sujet des financements locaux, avec la volonté de créer des passerelles entre les entreprises de l’ESS dans la région et les banques coopératives. Comment pouvons-nous accompagner les entreprises de l’ESS sur la voix du développement et du financement ? C’est un sujet important. Nous travaillons également sur les thématiques de la formation, de la comptabilité, avec l’aide de l’Ordre des experts-comptables, et de la digitalisation des entreprises.
Nous sommes à l’écoute des adhérents afin de développer des services. Les adhérents sont au cœur de notre projet, afin de leur permettre de se développer et de développer la légitimité de l’ESS.