Le temps a certes passé, mais la douleur n’est pas restée muette. Le nom du "Train des Pignes", qui chante le sud de la France, est associé depuis bientôt dix ans au drame qui s’est déroulé le 8 février 2014 sur cette voie ferrée du bout de France. A 11 h 07, sur la commune de Saint-Benoît, dans les Alpes-de-Haute-Provence, un bloc de pierre de 10 m3 se détachait de la montagne du "Clot Jaumal" et dévalait en une dizaine de secondes la falaise sur 130 mètres, percutant la voiture de tête. Bilan : 2 morts et 9 blessés, dont le conducteur. Parmi les 23 personnes qui se trouvaient dans le train, deux femmes décédaient : une Russe de 49 ans et une résidente de 82 ans, originaire du village du Fugeret.
Le drame est-il dû au plus triste des hasards ? Le train avait en effet ce jour-là dix minutes de retard. Ou bien faut-il pointer du doigt certaines responsabilités ? Le juge administratif était saisi le 10 mars de trois requêtes des assureurs et de la Région Paca, qui ont décidé de cibler l’Etat. L’Etat a-t-il failli dans sa mission d’aménagement, d’entretien et de sécurisation du site ? Telle est en tout cas la version de ses adversaires, les assureurs MMA Iard et Axa France, ainsi que la Région Paca, qui réclament au total plus de 4,6 millions d’euros d’indemnisations en réparation du préjudice subi.
« L’érosion et l’imprévisible »
La ligne a été ouverte en 1911. Elle est née d’une noble cause : la volonté de désenclaver la région. Vingt-cinq tunnels et seize viaducs permettent chaque jour à des résidents mais aussi à des touristes curieux de zigzaguer nonchalamment sur cette voie magique. Ceux qui l’ont empruntée songeaient-ils un instant qu’ils mettaient leur vie en danger ?
Le rapporteur public a conclu le 10 mars devant le tribunal administratif de Marseille, à l’absence de faute de l’Etat. Il a considéré que l’accident relevait de l’ordre de « l’imprévisible » et qu’il « résultait de l’érosion de la falaise ». En tout cas, le magistrat a estimé qu’aucun lien de causalité certain ne pouvait être mis en évidence entre un défaut d’entretien ou de sécurité et la survenance du drame. On a glosé volontiers sur les quelque 200 m2 de filets et les 7 500 m2 de grillages posés. L’ajout de "filets pendus" aurait-il permis de retenir plus avant le rocher et ses 25 tonnes lancés dans leur course folle ? « L’Etat ne peut pas tout et ne peut pas tout garantir », a martelé le rapporteur public, après avoir passé au crible les diverses installations et aménagements publics de l’Etat sur le site du drame.
Insécurité routière : des addictions aux stupéfiants qui inquiètent dans les Bouches-du-Rhône
147 âmes et un maigre budget
La Région, par la voix du cabinet Seban et de Me Picard, lui a répondu que « l’Etat s’est bien rendu compte que le dispositif n’était pas suffisant ». Pour les assureurs, Axa France et MMA Iard, « toutes les obligations de sécurisation n’ont pas été mises en œuvre » par l’Etat. Au nom de la commune de Saint-Benoît, où s’est déroulé l’accident, Me Justine Durand a rappelé que celle-ci ne compte que 147 âmes et que son budget n’aurait en tout état de cause jamais permis de poser les filets, protections ou écrans qui auraient pu éviter le drame.
Un bloc de 25 tonnes lancé à 70 km/h
Le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires a demandé lui aussi le rejet des trois requêtes, en écartant sa propre responsabilité. Selon lui, l’Etat était là pour sécuriser la route nationale 202 et non la voie ferrée elle-même. Des travaux sur la falaise qui auraient commencé dès 2006. Y avait-il un réel moyen d’arrêter ce bloc de 25 tonnes lancé à 70 km/h ? Le jugement a été mis en délibéré. Il sera rendu dans quelques semaines.