Les Nouvelles Publications : Comment avez-vous su que vous aviez été tiré au sort, sur les listes électorales, pour être juré d’assises ?
Jean-Louis : Normalement, on l’apprend par courrier. Mais pour des raisons de changement d’adresse, c’est la police qui m’en a informé par téléphone. Quand j'ai décroché, j’étais à mille lieux de penser à ça. Alors, j'ai été sonné, forcément. J’ai ensuite reçu un courrier comprenant la date de convocation et les quatre affaires que je pouvais potentiellement juger. J’ai eu quatre mois pour me préparer psychologiquement.
Comment avez-vous vécu cette période d’attente ?
Ce n’était pas simple. J’en ai parlé autour de moi. Mes proches m’ont tous dit que j’allais vivre quelque chose de fou, mais pas si éloigné que ça de mon quotidien professionnel d’une certaine façon. Dans mon métier j’écoute beaucoup, je ne suis pas censé faire transparaître mes émotions. Je ne me doutais pas alors combien mes ressources professionnelles allaient me servir. Au travail, les avis étaient plus partagés.
Vous avez été sélectionné pour faire partir des jurés éligibles. Comment se déroule le tirage au sort pour devenir juré d’assises ?
C’est très solennel. Il faut savoir que le jour de la convocation, le matin est dédié à de la formation théorique sur le déroulement d’un procès d’assises. Ensuite, vient le moment du tirage au sort et de la récusation éventuelle par les avocats. Nous avons chacun un numéro qui ne nous quitte plus : j’étais le jury 33. J’ai été tiré au sort pour deux affaires sur quatre, sans être récusé, ce qui est très rare en matière de probabilité. Ça été assez inattendu d’enchaîner tout de suite par l’ouverture du procès.
Sans rentrer dans le détail des affaires, pouvez-vous nous en dire quand même quelques mots ?
L’une concernait une tentative de meurtre. L’autre était vraiment terrible, puisqu’il était question d’inceste, de viol, de zoophilie et de pédophilie.
Comment avez-vous vécu ce huis clos ? Quelles ont été vos relations avec les autres jurés ?
La pression est permanente. Psychologiquement, j’étais exsangue. On n’est pas préparé à vivre ça, à recevoir autant d’informations terribles. J’ai vécu un ascenseur émotionnel permanent ! Les témoignages, les preuves, les plaidoiries... tout ça sans jamais montrer d'émotion. Alors forcément, quand nous avions une pause, nous évacuions parfois brutalement ce que nous venions de recevoir. Moi, je pleurais tous les soirs chez moi. Pour une des jurés, c'était à chaque pause. Tout ça reste très violent.
Quand on reste 10 à 12 heures ensemble, tous les jours, on crée des liens mais sans pour autant savoir ce que l’autre fait dans la vie. Je n’ai d’ailleurs gardé aucun contact avec un juré. Je pense que nous avons tous eu envie d’oublier ce que l’on venait de vivre.
La solennité des assises est-elle aussi impressionnante que l’on peut se l’imaginer ?
Oh oui ! Je me souviens encore de la robe d’hermine de la présidente. Je me souviens encore de ma place, de celle de chacun d’ailleurs. Les jurés sont face au public, aux avocats. Vous êtes donc regardé en permanence. C’est très dérangeant, mais en même temps, je pense que cela crée une sorte de sidération, liée à la fonction de magistrat, même provisoire. Ce qui explique que finalement, je n’ai pas eu de mal à réprimer mes émotions quand je siégeais. En revanche, comme je vous l’ai dit, une fois la salle quittée, c’est bien différent.
Je me souviens aussi du moment où je suis tiré au sort par la présidente. Elle prononce mon numéro puis mon nom et l’huissier de justice me guide à ma place, celle que je ne quitterai pas pendant toute la durée du procès. Tout est très codifié. J’ai en mémoire ces scènes, ces images…
Parlez-nous du moment du vote, du choix des peines…
Une fois que le procès est terminé, on rentre en délibération. La présidente nous lit alors l’ensemble des chefs d’accusation, avec les peines encourues. Pour chacun, nous devons répondre « oui » ou « non », pour « coupable » ou « non coupable ». La réponse se fait à la majorité des voix, sachant que les jurés votent, mais aussi la présidente et ses deux assesseurs. Tant que nous n’avons pas la majorité on revote. Ensuite, vient le moment de l’attribution de la peine.
Comment se prononce et surtout s’évalue une durée d’emprisonnement ?
La présidente nous donne la peine maximale qui peut être requise. Ensuite, chacun inscrit sur un papier un nombre d’années. Pour que la peine soit retenue il faut, de mémoire, au moins six votes identiques. Et tant que nous ne sommes pas d’accord, nous revotons. Sur une des deux affaires, les délibérations ont duré trois heures.
En revotant, forcément, soit on allège, soit on alourdit sa peine initiale. Cela doit induire de part et d’autre des frustrations…
Bien sûr. Entre les tours, on échange, on essaie de convaincre l’autre. C’est compliqué d’avoir des certitudes. On révise ses positions et il faut accepter que la majorité l’emporte. J’ai eu des moments de révolte, d’autres où je me suis senti inutile… Je me souviens encore du tampon rouge ou vert (coupable/non coupable) apposé en face de chaque chef d’accusation.
En quoi cela vous a fait prendre conscience que rendre la justice n’est pas chose facile ?
Il y a en effet une grande différence entre ce que l’on pense et ce que l’on attribue comme peine. Je comprends mieux aujourd’hui la « clémence » de la justice face à des crimes horribles. Chez soi, on se dit peut-être qu’on donnerait la peine maximale. Mais quand on est juré, c’est loin d’être aussi simple. Je suis quelqu’un de tranché, de droit et je me suis retrouvé à douter, à changer mes positions. Aujourd’hui, je comprends pourquoi la justice est souvent moins tranchante que l’opinion publique.
Vous avez été juré une semaine durant. Comment retrouve-t-on sa vie normale après ?
C’est bien là tout le problème. Quand la présidente rend le jugement, c’est fini et donc on rentre chez soi. Simplement. On peut même croiser dehors la famille de l’accusé. Cela m’est arrivé, même si la police n’est jamais très loin, au cas où il y ait des débordements. C’est assez traumatisant de les croiser dans la rue et de se faire insulter. Et puis dans mon cas, la deuxième affaire s’ouvrait le lendemain de la première. Pas de pause. Il faut enchaîner. Mais après cette semaine hors norme, j’ai repris mon boulot, comme si de rien n’était. En apparence bien sûr, parce qu’intérieurement ça a été très difficile.
Vous n’avez pas de soutien psychologique pour gérer « l’après » ?
Non et je trouve ça bien regrettable. J’y pense encore régulièrement. Compte tenu de mon cadre professionnel, on peut dire que d’une certaine façon j’étais plus préparé que d’autres jurés. Je suis confronté à des situations difficiles, où l’humain, ses blessures, sont au cœur des problématiques. Mais parmi les jurés, il y avait une femme au foyer, un coiffeur, un mécanicien… Je me demande encore comment la jurée qui pleurait à chaque pause gère ce vécu aujourd’hui.
Quel regard portez-vous depuis sur le fonctionnement des assises et de son jury populaire ?
C’est assez étrange quand même de devenir magistrat, du jour au lendemain, qui plus est sur des affaires monstrueuses. L’une des miennes l’était particulièrement. Je me demande si la question du jury populaire ne devrait pas être modifiée. Je ne sais pas comment, mais c’est vraiment une épreuve, même si on se pense fort et préparé à ça. On se dit qu’on peut condamner un innocent à une peine trop lourde et un coupable à une peine légère. C’est un acte citoyen qui laisse des traces.
* Le prénom a été modifié.