Juge consulaire depuis janvier 2011, Jacques Marcant n’a cessé ensuite de gagner en responsabilités (président de chambre, vice-président) jusqu’à être élu deux fois à l’unanimité par ses pairs pour présider le tribunal de commerce de Salon-de-Provence. Une institution qui recouvre 25 communes, des villages du bord de la Durance jusqu’aux cités urbanisées du golfe de Fos, avec la zone industrialo-portuaire.
Des fonctions locales complétées par des missions nationales au Conseil national des tribunaux de commerce et au Comité d’éthique et de déontologie de la Conférence générale des tribunaux de commerce. Cette expérience lui donne un recul sur l’évolution de l’action de la juridiction alors qu’il s’apprête à introduire son successeur à la présidence, Christian Kovarik, le 17 janvier.
« Soignant de première ligne »
Dans chacun de ses discours de président en début d’année, Jacques Marcant a martelé une conviction : la nécessité de renforcer le rôle du tribunal en matière de prévention des difficultés des entreprises. Ces trois dernières années, les dirigeants de sociétés ont dû s’adapter à des situations inédites (Gilets jaunes, Covid, explosion des prix de l’énergie…) qui ont parfois mis à mal leurs trésoreries et bilans.
Tribunal de commerce de Salon-de-Provence : une année biaisée par la pandémie et les aides
Pourtant, en appeler au tribunal de commerce pour bénéficier d’un regard extérieur sur leur activité reste une démarche qu’ils hésitent à effectuer.
« Nous avons des boîtes à outils mais soit ils sont mal informés, c’est souvent le cas chez les commerçants et artisans, soit ils n’ont pas compris l’importance d’être accompagnés. A leurs yeux, "tribunal" reste synonyme de sanction alors que je nous vois comme des soignants de première ligne ! Je crois qu’il faudrait réfléchir à d’autres manières de promouvoir ce rôle. Il serait judicieux, par exemple, lorsqu’une entreprise s’immatricule, de l’accueillir deux ou trois heures au sein du tribunal pour lui en expliquer l’utilité, le fonctionnement, les missions… afin qu’elle cerne bien à quoi il sert et le sollicite sans tarder quand sa situation l’impose. Il ne faut pas avoir de pudeur à pousser la porte du greffe de notre tribunal. »
Son message est néanmoins progressivement passé sur le pays salonais, puisqu’il note une forte augmentation du nombre de dossiers à titre préventif (conciliations, mandats ad hoc…).
« Dans ces cas-là, je nous sens vraiment utiles. Nous sauvons des entreprises. La prévention est notre raison d’être, mais malgré les conventions signées avec le barreau d’Aix-en-Provence, l’Ordre des experts-comptables et le Conseil régional des commissaires aux comptes, la possibilité qui leur est donnée d’assister leurs clients dans les procédures collectives, nous sommes privés des signaux faibles qui nous permettraient de repérer les difficultés en amont car notre convention avec l’Urssaf n’a pas eu les suites que nous espérions. »
Depuis la crise sanitaire, les aides de l’Etat ont évité une explosion des défaillances. La catastrophe redoutée ne s’exprime pas encore dans les chiffres, un constat également opéré par son homologue du tribunal de commerce de Tarascon, Estelle Laurent. Ce qui n’empêche pas la prudence et la vigilance, selon lui. « Avec le remboursement des PGE, des nuages, pas vraiment favorables, s’amoncellent, même si notre territoire continue de se distinguer par sa dynamique économique. La commercialisation des quinze lots de l’extension de la zone de Gandonne, à Salon-de-Provence, en atteste. On ne peut donc que s’en réjouir. »
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Indépendance à affirmer et défendre
Rappelant que « les juges consulaires ne sont plus les mandataires de personne », un autre sujet lui tient à cœur pour l’exemplarité et la crédibilité de la justice consulaire : la déontologie et l’éthique. Il est l’un des quatre juges de la Commission de discipline des juges consulaires près de la Cour de cassation. « Nous avons une charte qui s’impose à tous. Le Comité d’éthique et de déontologie est appelé de plus en plus fréquemment et directement pour des conseils, il y a donc bien une prise de conscience pour lever le moindre doute. C’est bien le signe que ça porte ses fruits. Mon souhait est de ne plus voir personne à la commission de discipline. N’oublions pas que ces questions de déontologie ne sont abordées que depuis dix ou quinze ans, avec le rapport Untermaier, pour transformer une institution qui a 500 ans d’existence ! C’est donc très récent. Les juges consulaires sont devenus des magistrats indépendants, soumis à un serment d’impartialité, intégrité, probité, loyauté, dignité et devoir de réserve, même s’ils ont été des chefs d’entreprise qui ont grandi dans un creuset de réseaux entrepreneuriaux et patronaux. Il faut savoir couper certains liens, garder une distance, afin d’éviter la moindre apparence de toute suspicion de conflit d’intérêt ou de connivence ! Mettre une robe de juge consulaire, c’est faire abstraction de soi-même dans l’exercice de sa mission de service public. »
Veiller à la juste motivation des décisions
Enseignant à l’Ecole nationale de la magistrature, Jacques Marcant affiche enfin son attachement à la formation, indispensable pour l’efficience et la juste motivation des jugements. « Je m’efforce de faire progresser les juges consulaires, jeunes ou anciens. Se former tout le temps est un impératif, il ne suffit pas de mettre cette robe et d’insérer une obligation de présence dans son calendrier. Il faut éviter que des décisions mal motivées en droit soient cassées. Je me réjouis donc que les nôtres sont le plus souvent confirmées, à l’exception de quelques infirmations partielles. C’est un gain pour tout le monde et pour l’image de notre justice consulaire. Nous démontrons notre pertinence pour aborder les dossiers en contentieux, pour les comprendre, du fait de notre expérience de chef d’entreprise. J’ai pris soin personnellement de me réserver toute l’année tous les contentieux en référé, chaque mercredi. »
Il sent « infuser » cet état d’esprit dans les promotions qui arrivent et s’en félicite. « Je leur dis : "N’ayez pas peur !" parce que le juge est placé entre le marteau et l’enclume et ne sait pas à l’avance quel son il va donner. Je l’ai ressenti personnellement en passant de chef d’entreprise à magistrat. C’est une curieuse alchimie mais elle est possible. » Une alchimie qui s’affranchit également des genres pour ce président qui a souligné l’importance de féminiser les tribunaux. « Les femmes portent des valeurs que les hommes ne montrent pas toujours. Mais dans la prise en charge des dossiers, on attend le même résultat et la même qualité de travail qu’ils soient suivis par les unes ou les autres ! ».
Après le 17 janvier, Jacques Marcant verra de fait le nombre de ses engagements ralentir. Mais il n’entend pas stopper, soucieux de s’impliquer auprès du monde rural, pour sauvegarder des exploitations agricoles. « Fort de mon expérience ici, je veux les aider à trouver des voies de développement auxquelles elles ne pensent pas. Elles sont une merveille pour notre pays et ne le savent pas. »