« Depuis trois ans, nous avons constaté une baisse des vocations à travers le nombre d’experts de justice », notent Pierre Malicet, le président de l’Union des compagnies d’experts près la cour d’appel d’Aix-en-Provence (Ucecaap), et Claude Leloustre, le président de Compagnie des experts près la cour administrative d’appel de Marseille (Cecaam). Ces deux informaticiens sont experts de justice et engagés dans le bon fonctionnement des missions d’expertise.
En France, on compte autour de 13 000 experts de justice, dont 9 711 adhèrent à l’une des 90 compagnies.
Pas de justice sans expert
« Sans ces experts, qui apportent leur concours à l’administration de la justice, il serait impossible de la rendre. Les juges, qui ne peuvent pas avoir de compétences techniques dans des domaines aussi variés que le BTP, la médecine, la santé, la mécanique, ont besoin de l’éclairage impartial d’un professionnel ayant prêté serment », avancent Pierre Malicet et Claude Leloustre.
« L’expertise de justice est une mesure d’investigation technique ou scientifique qu’un juge confie à un "homme de l’art", professionnel reconnu pour son expérience, sa compétence et son autorité dans le domaine requis par la question de fait qui se pose à la juridiction saisie », souligne le site du Conseil national des compagnies d’experts de justice (CNCEJ).
Les experts ne sont pas des bénévoles, mais des professionnels rétribués pour apporter leurs compétences techniques.
Baisse des vocations
Mais ce système est victime de la baisse des vocations… « Il y a plusieurs raisons », analysent Pierre Malicet et Claude Leloustre. La responsabilité de l’expert en est une, peut-être la plus importante. « La responsabilité de l’expert peut être engagée à tout moment après le dépôt du rapport, sous réserve de la découverte d’un fait existant à l’époque, pouvant modifier les conclusions du rapport et susceptible de porter préjudice. Les parties qui découvrent le fait ont alors cinq ans pour engager la responsabilité de l’expert », note Pierre Malicet. « Il y a une réflexion pour faire évoluer ce point », rapporte le président de l’Ucecaap.
Bien entendu, pour faire face à ce risque, les experts ont une assurance.
La faiblesse de la tarification des actes d’expertise est une autre réponse. « Etre rémunéré 650 € HT, soit 780 € TTC, pour un rapport d’expertise médicale civile, qui prend plus de 10 heures de travail quand on est un grand professeur de médecine, par exemple, n’est pas gratifiant », notent aussi les deux experts. Les tarifs des expertises, souvent longues et techniques, sont tirés par le bas. Les expertises pénales étant, elles, tarifées.
Enfin, être expert de justice n’est plus forcément une reconnaissance dans une société en perte de repères et en proie à l’individualisme.
Un engagement enrichissant
Pourtant, être un expert de justice reste « un engagement enrichissant », tempèrent les deux présidents. « C’est une véritable fenêtre ouverte sur un monde que l’on ne côtoie pas naturellement », mettent en avant Pierre Malicet et Claude Leloustre.
« Oui, c’est un formidable défi intellectuel que d’être expert de justice. Cet engagement est stimulant d’un point de vue personnel et professionnel parce qu’il oblige à une perpétuelle remise en cause », souligne Pierre Malicet. « On est obligé de se tenir au fait des dernières actualités et évolutions de la profession pour être un bon expert », ajoute Claude Leloustre.
« Et puis, il faut savoir prendre la parole, mener des investigations, organiser une réunion et savoir respecter le contradictoire, c’est-à-dire être impartial et garder du recul. L’exercice est stimulant », reprend le président de la Cecaam. « Etre expert de justice est une démarche personnelle enrichissante », confirmait, dans un entretien accordé en mai dernier, Carole Bollani-Billet, expert de justice et présidente de la section Aix-en-Provence de la Compagnie nationale des experts-comptables de justice.
« Mener une expertise de justice, un peu comme une enquête, procure aussi de l’adrénaline », ajoutent les deux experts.
La force d’un réseau
Enfin, les experts de justice ne sont pas laissés seuls face aux juges, aux justiciables et à leurs avocats… « Il y a un besoin et même une obligation de formation. C’est notamment pour cette raison que les experts adhèrent à des compagnies d’experts de justice », soulignent les deux présidents. « Elles nous permettent de rester en réseau, d’échanger, de nous former et de dialoguer avec les juges lors de colloques », ajoutent ces derniers.
Il en existe de plusieurs sortes : les compagnies pluridisciplinaires près les cours administratives d’appel, comme la Cecaam présidée par Claude Leloustre, les compagnies nationales… A noter deux particularités : l’Union des compagnies d’experts près la cour d’appel de Paris et l’Union des compagnies d’experts près la cour d’appel d’Aix-en-Provence. Cette dernière, l’Ucecaap, étant présidée par Pierre Malicet.
Chaque année, des professionnels, plutôt avec de l’expérience, prêtent serment et deviennent experts. « C’est une belle aventure professionnelle et personnelle », lancent Pierre Malicet et Claude Leloustre à ceux qui hésiteraient à franchir le pas…