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Marseille : après les polémiques, le lien police-justice abimé ?

Les déclarations du patron de la police nationale suscitent une polémique qui pose la question des relations entre la police et la justice.
Forces de l'ordre à Marseille, lors des émeutes urbaines.
Clément Mahoudeau/AFP - Forces de l'ordre à Marseille, lors des émeutes urbaines.

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La mise en détention provisoire d'un membre de la BAC à Marseille affaiblit-elle le lien entre la police et la justice ? La polémique sucitée ces dernières heures, à la suite des déclarations de soutien de Frédéric Veaux, le directeur général de la police nationale, qui s'est déplacé samedi 22 juillet à Marseille, ou de Laurent Nunez, le préfet de police de Paris, ravive une blessure au sein des forces de l'ordre. Elle remet en lumière le ras-le-bol d'une profession en première ligne face aux émeutes. Elle repose également la question de la relation de confiance avec entre la police et la justice. Explications.

Ras-le-bol et fatigue dans la police

Ces réactions de la hiérarchie policière et de la base rappellent les mois difficiles traversés par les forces de l’ordre employées pendant les manifestations contre la réforme des retraites, ou les émeutes urbaines, notamment. Elles mettent en avant le ras-le-bol des policiers et le malaise structurel que traverse depuis plusieurs années la profession comme le rappelle un rapport du sénat de 2018 intitulé : "Vaincre le malaise des forces de sécurité intérieure : une exigence républicaine". Ce rapport souligne qu’un « profond malaise règne actuellement au sein de la police nationale. Les autres forces de sécurité intérieure (gendarmerie nationale, polices municipales) connaissent également des difficultés importantes ». Si des mesures ont été prises depuis, de nombreux points de tension persistent.

Il suffit d’écouter, ces dernières heures, les déclarations des syndicalistes de police dans les médias pour s’en apercevoir : «On a un métier très compliqué. On perd une partie de notre âme dans ce métier. On est rappelé sur nos congés, on a le record de divorces, on a le record de suicides, on est toujours pointé du doigt et en fait, à la fin, dès qu'il y a un soupçon d'erreurs, tout de suite on est jetés aux chiens et tout de suite mis en détention provisoire. C'est ça qui est insupportable et c'esttoute une profession qui est en colère », témoigne sur France Info Jean-Christophe Couvy, secrétaire national SGP Police FO.

Le lien police justice abimé ?

Prémonitoire, ce rapport du Sénat souligne que « le lien de confiance entre les agents des forces de sécurité intérieure et la justice », « qui semble fortement érodé, notamment en raison d'une réponse pénale perçue comme insuffisante ». « En outre, la procédure pénale encadrant les enquêtes a atteint un niveau de complexité jugé intolérable. Enfin, le malaise de l'administration pénitentiaire, qui souffre d'un manque de moyens et du durcissement des relations carcérales, rejaillit sur toute la chaîne pénale en amont », est-il écrit dans ce rapport.

Dans une déclaration à France Info, Jean-Christophe Couvy, fait référence à ce malaise et évoque cette défiance des policiers envers la justice : «Il suffit d'ouvrir un petit peu les pages des journaux pour voir qu'il y a des gens multirécidivistes ou des gens beaucoup plus dangereux pour la société qui devraient être en détention provisoire ».

Un policier en détention, "insupportable"

«Ce qui est insupportable aujourd'hui dans nos rangs, c'est d'avoir un policier en détention provisoire alors que toutes les garanties sont relevées pour pouvoir permettre la suite de cette procédure », explique à France Info Bruno Bartocetti, secrétaire national du syndicat Unité SGP-FO Police chargé de la zone. « Ce qui est important, j'insiste bien, c'est sur le fait qu'on puisse mettre en détention provisoire des policiers qui sont mis en cause dans l'exercice de leur profession. On nous demande d'aller sur tous les fronts et à la sortie la situation se retourne contre nous », justifie-t-il.

Et ce syndicaliste de poursuivre : « Nous, syndicat Unité-SGP Police, nous allons continuer notre combat pour permettre justement à une juridiction de travailler autour des policiers avec une présomption d'innocence sans pour autant conduire les policiers en détention provisoire. Nous allons continuer à saisir les parlementaires pour travailler autour d'une juridiction spécialisée pour qu'enfin on protège notre profession, parce qu'aujourd'hui le policier est en insécurité juridique au-delà de celle qu'il rencontre tous les jours dans le cadre de son travail ».

L’indépendance de la justice remise en cause

« Les policiers ne veulent pas être au-dessus des lois », tempère sur france Info Jean-Christophe Couvy, secrétaire national SGP Police FO. Mais le lien police-justice a pris des coups avec cette affaire marseillaise… Au-delà des réactions attendues des partis politiques d’opposition, les déclarations de Frédéric Veaux et de Laurent Nunez ont suscité de vives réactions du monde judiciaire.

Dans un communiqué publié ce 24 juillet, Olivier Leurent, le président du tribunal judiciaire de Marseille revient sur ces déclarations. Il rappelle que « l'indépendance de la justice est un principe constitutionnel et une garantie essentielle de l'Etat de droit ». « Il appelle en conséquence à la mesure afin que l'institution judiciaire puisse poursuivre les investigations ». « La décision contestée a été prise par un magistrat indépendant, à l'issue d'un débat contradictoire au cours duquel chacune des parties a pu s'exprimer librement » souligne M. Leurent.

« Dans l'attente, il est de la responsabilité de chacun de garantir la sérénité du cours de la justice ».

Olivier Leurent. Président du tribunal judiciaire de Marseille.

François Molins, procureur général honoraire prés la cour de cassation a apporté son soutien à M. Leurent. Ce dernier a tweet le communiqué du président du tribunal judiciaire de Marseille, en le commentant.

Dans un communiqué ce 24 juillet en fin de journée, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a réagit à son tour. Dans ce document co-signé par Renaud Le Berton de Vannoise, premier président et Marie-Suzanne Le Querau, procureure générale, « les chefs de la cour d’appel d’Aix-en-Provence rappellent qu’en vertu du principe constitutionnel de séparation des pouvoirs, il appartient à l’autorité judiciaire seule de qualifier les faits et de conduire les investigations utiles à la manifestation de la vérité, et ce en toute impartialité et à l’abri des pressions ». « Dans un Etat de droit, la contestation d’une décision de justice ne se conçoit qu’à travers l’exercice des voies de recours. En l’espèce, la chambre de l’instruction examinera l’appel formé par le policier à l’encontre de son placement en détention provisoire le 3 août 2023 » ajoutent ces derniers.

La réaction des syndicats de magistrat

« Le DGPN, sous la tutelle du ministre de l'Intérieur, fait pression sur l'autorité judiciaire dans une affaire individuelle. Gravissime. Strike pour l'indépendance de la justice, la séparation des pouvoirs et l'égalité devant la loi », a aussi tweeté le syndicat de la magistrature. « Il y a un principe fondamental dans une démocratie : la loi est la même pour tous. Les policiers qui commettent des infractions dans l'exercice de leurs fonctions sont passibles de sanctions pénales »,comme les autres justiciables, a souligné auprès de l'AFPla présidente du Syndicat de la magistrature, Kim Reuflet.

Les propos du patron de la police nationale sont«scandaleux»et« gravissimes dans un état de droit», a également réagi Cécile Mamelin, vice-présidente de l'Union syndicale des magistrats. « C'est stérile et dangereux. On attend une réaction au plus haut niveau de l'Etat pour remettre les pendules à l'heure » a-t-elle déclaré à l'AFP. L'USM a également publié un communiqué ce 24 juillet dans lequel il rappelle son soutien sans réserve aux forces de l'ordre. Mais il rappelle que «demander une justice d'exception au bénéfice des policiers est contraire au principe constitutionnel d'égalité devant la loi »...

De façon plus philosophique, Jacques Dallest, ancien procureur de Marseille a tweeté : « Placement en détention provisoire abusive pour les uns, remise en liberté scandaleuse pour les autres… ».

Les réactions des avocats

« Inacceptable remise en cause de l'indépendance de la justice par le DG de la police nationale qui considère, avec le soutien du préfet de Police de Paris qu'avant un éventuel procès, un policier n’a pas sa place en prison », a tweeté Bruno Blanquer, le président de la Conférence des bâtonniers, qui rassemble les barreaux de France.

« Supprimons donc les juges », a réagit, de façon ironique sur tweeter, l'avocat marseillais Jean de Valon.

L'Union des jeunes avocats de Marseille a aussi réagi ce 24 juillet aprés-midi. Dans un communiqué, elle rappelle l'indépendance de la justice et s'inquiète de la réaction des policiers qui porte atteinte grave à la continuité du service public et de sécurité publique.

La réaction d'Emmanuel Macron

Emmanuel Macron est revenu sur cette situation dans son interview réalisée depuis la Nouvelle Calédonie. Le président a déclaré : « je ne vais pas commenter les propos du directeur général. En tant que garant des institutions, c’est une décision qui a été prise par un magistrat. » Emmanuel Macron a rappelé que « dans notre pays les policiers servent la bonne application de la loi, et l'état de droit suppose la présomption d'innocence pour tout le monde et le respect de la loi pour chacun .

En fin d'aprés-midi le président de la république a aussi tweeté sur ce sujet pour rappeler l'indépendance de la justice.

Eric Dupont-Moretti, le ministre de la Justice a déclaré de son côté en fin de journée : « Nul n’est au-dessus de la loi de la République. La justice doit poursuivre son travail dans la sérénité et en toute indépendance. C’est une condition indispensable au respect de l’Etat de droit, qui est le fondement de notre démocratie ».

Une polémique partie de Marseille

Dans cette affaire, « Trois autres fonctionnaires des BAC Sud et centre de Marseille ont été mis en examen dans la nuit de jeudi à vendredi pour violences en réunion par personne dépositaire de l'autorité publique avec usage ou menace d'une arme ayant entraîné une ITT (incapacité totale de travail) supérieure à 8 jours, et placés sous contrôle judiciaire », rappelle l’AFP. La victime, Hedi, un jeune homme de 21 ans blessé et hospitalisé dans la nuit du 1er au 2 juillet, a expliqué avoir été passé à tabac par un groupe de quatre à cinq personnes qu'il avait identifiées comme des policiers de la brigade anticriminalité, après avoir reçu un tir de LBD dans la tempe.

Le centre de Marseille et ses rues commerçantes ont été le théâtre d'émeutes urbaines après la mort de Nahel, un adolescent tué à Nanterre par un policier lors d'un contrôle routier.

Des policiers en arrêt maladie à Marseille

Selon une source syndicale, plusieurs centaines de policiers marseillais se sont mis en arrêt maladie. D'autres ont répondu à l'appel du syndicat Unité SGP Police et se sont mis en "code 562", un jargon policier qui signifie qu'ils n'assument plus que les missions d'urgence et essentielles. « Je n'ai pas de chiffres précis sur les arrêts maladie, ils nous parviennent ultérieurement. Mais, effectivement, la situation est toujours compliquée sur Marseille. Ces arrêts maladie ne s'étendent pas au reste du territoire, même s'il existe des mouvements de solidarité », souligne Frédéric Veaux.

En tous cas, dans les rues de Marseille, ce lundi 24 juillet au matin, les policiers se faisaient discrets…

Article mis à jour avec les réactions d'Emmanuel Macron, Erid Dupond-Moretti, du président du tribunal judiciaire de Marseille et des présidents de juridictions de la Cour d'Appel d'Aix-en-Provence.

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