Les uns ont le verbe triste, les autres l’humeur grave. Les sourires sont rares, les effusions contenues. Car c’est un vent rebelle mais un vent assumé qui, une nouvelle fois, a soufflé hier sur les marches du palais de justice Monthyon. Quelque 80 policiers et magistrats se sont rassemblés ce jeudi 16 mars à Marseille afin de dire "non" au projet de réforme de la police judiciaire.
Parmi les présents, beaucoup de policiers de PJ évidemment, des hommes de terrain, tombés très tôt dans la marmite de l’investigation, mais aussi des juges d’instruction et des magistrats du parquet, venus les soutenir pour dire et redire avec la même constance depuis le mois d’octobre dernier - et le limogeage d’Eric Arella, le grand patron de la PJ marseillaise - que rien ne va plus au sommet de l’Etat.
La réforme en cours initiée par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin et le directeur général de la police nationale Frédéric Veaux, qui prévoit de faire passer les effectifs sous la tutelle d’un directeur départemental unique, a suscité depuis cinq mois, partout en France, des mouvements de protestation. Elle sonne, selon les hommes de la PJ, le glas des enquêtes qui ciblent le crime organisé.
« Le certificat de décès de la PJ est déjà signé »
La plupart arborent des tee-shirts blancs barrés du sigle ANPJ comme Association nationale de police judiciaire, créée pour l’occasion, et de la mention "Sauvons l’investigation". « Le certificat de décès est déjà signé. Il est prévu le 1er juillet 2023 », aime à résumer Thomas, un des frondeurs et porte-parole de l’ANPJ. Et tous ces "flics" en civil de rappeler qu’ils peuvent se targuer d’un taux de résolution des affaires de 87 % et de la saisie de 332 millions d’euros d’avoirs criminels en 2022 en France.
La réforme annoncée sent, pour eux, la politisation à plein nez. « La mutualisation se fera selon son bon vouloir », déplore Thomas, qui ne voit pas en quoi tout cela va améliorer les statistiques de la sécurité publique. L’ANPJ a bien espéré que les choses évoluent, que le ministre revoie sa copie, mais « rien n’a finalement changé », conclut-il.
Quid de l’étanchéité des enquêtes ?
Florent Boitard, vice-procureur et délégué régional de l’Union syndicale des magistrats (USM), fait observer que « la délinquance ne connaît pas de frontières ». Limiter les saisines de la PJ au seul département des Bouches-du- Rhône, auquel on a rajouté les Alpes-de-Haute-Provence et les Hautes-Alpes, relève pour la plupart d’une démarche « cosmétique ». Florent Boitard dit ses craintes que la moindre information sensible « ne remonte aux préfets et donc au ministre de l’Intérieur ». Il rappelle également que le procureur général de la Cour de cassation lui-même, François Molins, a pris soin de préciser que « l’échelon départemental n’est pas adapté à la PJ ». Quant au Sénat, il a réclamé un moratoire jusqu’aux Jeux olympiques de 2024. Qu’en sera-t-il ?
Pour Nathalie Roche, juge d’instruction et déléguée du Syndicat de la magistrature (SM), qui définit la mission du juge comme « une autorité poil à gratter », il y a lieu de s’inquiéter plus que raisonnablement : « On n’a plus de garanties sur l’étanchéité des enquêtes. » C’est bien ce qui mine durablement la motivation des juges et policiers.