Les Nouvelles Publications : Schneider Electric dispose d’équipes fournies sur le terrain, de partenaires distributeurs au contact direct des TPE/PME et ETI… Quelles sont les remontées que vous enregistrez de ces entreprises sur leurs préoccupations énergétiques ?
Hervé Coatmellec : Le coût de l’énergie a été multiplié entre cinq et dix pour les entreprises, selon les types de contrats qu’elles avaient conclus. Le plus difficile est surtout pour celles qui ont dû renégocier en ce moment leurs contrats passés dans une période où les prix étaient très bas. Les écarts sont très importants. Leurs dirigeants mesurent bien la problématique pour leur activité sans savoir comment l’aborder. Nous nous employons donc à les éclairer. Plusieurs réponses existent pour leur bâtiment ou pour leur process industriel.
Commençons par les bâtiments. Comment agir efficacement, même sur des immeubles anciens ?
Nous conseillons la mise en place d’une Gestion technique de bâtiment (GTB) pour avoir simultanément de la mesure d’énergie et du contrôle-commande de la consommation : climatisation, chauffage, éclairage, volets roulants… Beaucoup de pertes d’énergie peuvent provenir de lumières allumées au mauvais moment dans la journée. Cette GTB aide à mieux piloter, avec leur extinction automatique, la mise en route du chauffage ou de la climatisation uniquement en cas de présence de personnes dans les salles ou bureaux… Ces solutions techniques sont assez simples à mettre en œuvre de manière dédiée dès lors que l’entreprise s’est engagée sur un audit de l’utilisation de son bâtiment. En France, il existe plus de 300 000 édifices tertiaires de plus de 1 000 m2 et uniquement 6 % sont équipés d’une GTB. Le marché est énorme. Les entreprises dans des immeubles vétustes peuvent être concernées, pour un investissement de quelques milliers ou dizaines de milliers d’euros, selon la taille de l’édifice. Un grand bâtiment exigera ainsi de positionner beaucoup plus de capteurs. La retombée pour la facture énergétique reste significative : une GTB peut entraîner 20 à 40 % de réduction de consommation.
Dans quels délais une société peut-elle espérer une installation opérationnelle, au vu des difficultés liées à la pénurie de composants, de matériaux ou au manque de main-d’œuvre ?
Pour des visites et des audits, c’est l’affaire de quelques semaines pour proposer des solutions concrètes. Le temps d’installation dépend ensuite de l’ampleur du besoin.
Sur la partie "process industriel", le site de Schneider Electric à Carros (Alpes-Maritimes) pousse très loin sa démarche, avec un suivi en temps réel de chaque machine. Jusqu’à quel point une PME peut-elle s’en équiper également à coût maîtrisé ?
De l’énergie peut être gaspillée sur une chaîne de fabrication alors qu’il est possible effectivement de savoir exactement à quel endroit précis cette déperdition s’opère et estimer si elle est normale ou pas. L’audit préalable nous permettra de justifier la mise en place de ces outils de mesure énergétique. On regarde les technologies en place dans l’entreprise, on les analyse et on propose un plan d’action pour parvenir à une meilleure efficacité énergétique, par exemple, pour installer un variateur de vitesse sur un moteur, une batterie de condensateur… Cet audit est fondamental pour que les solutions soient les plus adaptées pour le fonctionnement à court et moyen terme de l’activité. A plus long terme, l’entreprise pourrait avoir intérêt à se doter en complément de panneaux photovoltaïques en toitures ou sur des ombrières de parking, d’éoliennes…

Sur son site de Carros, Schneider Electric a doté ses parkings d’ombrières photovoltaïques pour améliorer encore sa performance énergétique. (Crédit : Schneider Electric.)
Sur les secteurs les plus consommateurs d’énergie, en dehors des grandes industries sensibilisées par le gouvernement, il y a la chimie, l’agroalimentaire… Exigent-ils des approches distinctes ?
Pour eux, l’énergie est une grosse partie de leur process. L’agroalimentaire utilise des équipements de froid fortement consommateurs, dans d’autres, des usines ont une activité de fabrication qui font appel à des moteurs… Les TPE/PME passent plutôt par des distributeurs, bureaux d’études et installateurs. Il est donc important pour nous de pouvoir nous appuyer sur de tels acteurs capables de réaliser des audits énergétiques car beaucoup d’entreprises doivent commencer par là. Schneider Electric cherche donc à conforter son réseau de partenaires techniques pour les mener et répondre à l’essor de sollicitations simultanées.
On parle de transition énergétique, mais la réduction des consommations d’énergie passe aussi par la sensibilisation des salariés. Que conseillez-vous sur ce point ?
Le changement des comportements est l’un des points les plus difficiles dans une entreprise. Nous l’avons initié depuis longtemps chez Schneider Electric parce que nous sommes engagés dans la décarbonation des usages et l’efficacité énergétique. Pour autant, il existe des outils techniques aptes à pallier le défaut d’écogestes pour éteindre des lumières ou la climatisation. La modification des attitudes chez les collaborateurs passe par des campagnes de communication interne. Aujourd’hui, la longévité de notre engagement dans le domaine nous permet de fournir des données extrêmement précises sur le coût, par exemple, d’une fenêtre laissée ouverte dans un bureau, et donc d’apporter à nos clients des arguments de sensibilisation concrets lorsqu’ils mènent à leur tour de telles actions. Mais il faut y consacrer du temps, de la formation… Les TPE/PME n’en ont pas toujours, ni les moyens humains, alors que des équipements plus automatisés peuvent engendrer un retour sur investissement en moins de deux ans.
Qu’en est-il des potentialités des réseaux électriques intelligents ? Provence-Alpes-Côte d’Azur a été avec Flexgrid l’une des deux régions d’expérimentation avec la Bretagne, mais un modèle économique n’a pu être dégagé, à coût d’énergie bas. Est-ce que ces approches mutualisées, complexes à organiser par leur combinaison de technologies de production et de consommation diverses, retrouvent un intérêt pour des zones d’activités où plusieurs entreprises pourraient s’y associer, comme elles le font dans le covoiturage ou les déchets ?
Aujourd’hui, la question mérite en tout cas de se poser, parce que, là aussi, les solutions existent, sous formes de "micro-grids", comme Flexgrid en a fait l’expérience. La consommation est gérée à partir de la production d’énergie sur un réseau sur lequel on a prédéfini des producteurs et des consommateurs. Nous le proposons sur des sites qui disposent de réseaux importants de moyenne tension, comme les ports ou d’autres infrastructures associant production de différentes énergies et consommateurs dans le périmètre pour éviter de tirer sur les réseaux. A Nice (Alpes-Maritimes), l’expérimentation avait été montée sur un quartier. Il faut un contrat avec un opérateur d’énergie.
A Grenoble (Isère), nous le faisons sur le bâtiment "IntenCity" de Schneider Electric, l’édifice le plus économique énergétiquement au monde. En moyenne, la consommation d’un bâtiment tourne à 300 kWh/m2/an. Un bâtiment bien géré avec une GTB peut atteindre les 180 kWh/m2/an. IntenCity, c’est 37 kWh/m2/an. Il produit du solaire, possède une éolienne sur le toit. Nous avons constitué un réseau avec les bâtiments voisins et c’est la régie d’électricité de Grenoble, avec laquelle nous avons passé un contrat, qui redispatche sur eux toute l’énergie que nous produisons au-delà de nos besoins et de la même manière, eux aussi peuvent réinjecter sur le réseau leur trop-plein d’énergie.
Technologiquement, c’est possible. Il faut néanmoins des règles pour un smart grid car il peut, comme le fait le dispositif Ecowatt, fonctionner avec un système d’alerte qui permet à certains de délester à un moment de l’énergie au profit d’autres. Il peut également anticiper, à partir des conditions météo annoncées, de la production ou du stockage d’énergie pour l’ajuster aux consommations attendues.
Ces derniers temps, avec l’arrivée de la solution hydrogène, de grandes infrastructures s’intéressent à ce type de réseau intelligent, comme à Marseille ou Toulon (Var), notamment pour le raccordement électrique des navires, dès lors qu’il y a possibilité de production et de consommation sur des gros volumes, autour de réseaux moyenne ou haute tension. C’est une vraie évolution. Sur des zones d’activités, la réflexion vaut la peine d’être conduite par leurs gestionnaires.
Avec le plan de relance "France 2030", beaucoup de TPE/PME ont profité d’aides pour se doter de leurs propres locaux afin de s’inscrire dans la durée. Toutes n’ont pas encore entamé leurs chantiers. Pour un dirigeant désireux d’entrer dans une telle opération, que lui conseillez-vous de prévoir ?
Un bâtiment bien géré dans le temps doit être conçu autour de la gestion de l’énergie, que ce soit sur la distribution électrique ou les fluides, pour s’assurer qu’il devienne le plus autonome possible énergétiquement, avec la consommation la plus juste. Les bureaux d’études en sont de plus en plus conscients, outre la réglementation qui s’impose dans tous les nouveaux bâtiments.
Il n’y a donc plus de verrou technique aujourd’hui pour mieux consommer ?
Non, il n’en existe plus. Sur des bâtiments vétustes, l’adaptation peut être plus complexe, pour savoir où mettre les capteurs et équipements, mais elle est indispensable. C’est une question de volonté et d’investissement.
La Région Provence-Alpes-Côte d’Azur a indiqué dernièrement, à travers son "Plan 100 % Climat", que toutes les aides aux entreprises du territoire seraient soumises à la mise en œuvre de transformations pour réduire la consommation énergétique. Vous conseillez donc aux dirigeants de bien regarder les dispositifs accessibles pour être aidés dans ces investissements ?
Il faut évaluer le coût global entre les investissements à court terme et les retours sur investissement qui vont en découler. Tout part de l’audit initial. Les Régions, les CCI, les organisations professionnelles… s’en préoccupent. Il y a un an, ce n’était pas un sujet. Il l’est définitivement maintenant !