« C’est la seule heure de la semaine où je me sens exister seulement pour moi-même. » Le témoignage vient de l’un des quelque soixante chefs d’entreprise (PME, artisans, professions libérales…) et cadres qu’elle accompagne en cours individuels ou collectifs. La force des mots émeut Anaïs, fondatrice de "ARM Le Jardin", professeur de yoga et Pilates à Salon-de-Provence. Pris en étau entre ses charges d’entrepreneur, ses obligations familiales, les contraintes réglementaires, les exigences de ses clients et fournisseurs, ce dirigeant lui a avoué ne plus s’autoriser que cette heure de détente hebdomadaire en solo pour tenter de se prémunir du « burn-out ». Il n’est pas le seul. « Enfin, je peux me vider la tête et me laisser guider » dit un autre. « C’est une bulle hors du temps où je suis là pour moi, partout dans mon corps et ma tête » résume un troisième. Anaïs a mis sur pied des séances individuelles lorsque le Covid empêchait la tenue de cours sportifs collectifs. Elle prend alors la mesure de l’état physique et mental de ses élèves entrepreneurs. « Étant moi-même chef d’entreprise et depuis peu maman, je cumule aussi les responsabilités et cerne la pression qui s’exerce sur eux, ce sentiment de ne pas avoir le droit de flancher. Ils sont constamment sur le « faire », dans l’action, et non sur « l’être », l’écoute et la perception de soi. Les hommes arrivent souvent par l’intermédiaire de leur épouse qui sent une dérive s’installer, les femmes se laissent tenter par le biais des réseaux sociaux, de reportages TV, de séries... qui évoquent des techniques de bien-être. S’ils acceptent de lâcher prise, je m’efforce de créer ce chemin du « penser à soi » que leur cerveau n’a pas ».
Anaïs soutient que ces dirigeants se positionnent sur la "pyramide de la vie" comme le socle sur lesquels tout repose alors qu’ils devraient culminer au sommet et rayonner de leur énergie sur leur entourage. « Je les invite à poser leur cerveau et à se laisser porter. Leur plus gros effort, c’est de venir. Le cours individuel est plus cher, mais plus bénéfique car complètement personnalisé. D’ailleurs, dès qu’ils ressentent les bienfaits de ce moment en conscience, de cette "reconnexion à soi", ils bloquent le créneau, ne programment plus aucun rendez-vous dans cette plage horaire dédiée, coupent le téléphone et se montrent assidus. »
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Faire tomber la pression
Pour préparer l’accompagnement le plus approprié, Anaïs procède à un diagnostic sur leur mode de vie, leurs blessures passées, leurs sensations, leur posture… Elle détecte les déséquilibres et définit un programme sur l’année qu’elle adapte à chaque séance en fonction de la fatigue et du besoin de son élève. Qu’il soit dans le BTP, l’électricité, la viticulture, dentiste, avocat ou notaire, chacun ne s’expose pas aux mêmes risques. « Tous ont mal au dos mais les pathologies varient, lombalgies, tensions cervicales, insomnies, troubles du sommeil ou de la digestion, mâchoires contractées, surpoids… Les uns souffrent de courir constamment, les autres de leur sédentarité. Dès leur arrivée, leurs douleurs attestent qu’ils sont déjà presque allés trop loin. J’essaie de les convaincre de remplir d’abord leur propre réservoir pour être à long terme plus productifs, performants, apaisés et ouverts au travail et en famille. Au fil des sessions, ils notent la différence, je la constate par leur manière de se tenir et de respirer. Je leur transmets également des méthodes pour réussir seuls à faire tomber la pression, même s’ils confient apprécier l’encadrement qu’offrent ces séances ».
Un besoin à partager
Pour Anaïs, la mutation s’opère progressivement. « Alors qu’ils n’estiment pas au début pouvoir s’accorder cette heure de pratique, ils finissent par admettre qu’elle devient un besoin pour se sentir plus détendu et en forme et baisser les tensions. Ils assurent aussi mieux détecter les premiers signaux de fragilités. Certains sont allés jusqu’à proposer, sur les heures de travail, des séances collectives de ces disciplines douces et sans risque à leurs collaborateurs pour les aider à mieux connaître et préserver leur corps et leur esprit. Mais ils ne lâchent pas leur séance en tête-à-tête avec moi. Ce moment reste à eux et eux seuls ».