Au moment où le microcosme politique a le regard tourné vers l'échéance des municipales de mars 2020, les acteurs de l'immobilier provençal tirent la sonnette d'alarme. « Les politiques disent : "Surtout pas de chantier avant les élections." Il est pourtant urgent d'agir ! », lance Philippe Deveau, président de l'observatoire immobilier de Provence (OIP). Chiffres en main, l'ancien président de la Fédération du BTP des Bouches-du-Rhône dessine une conjoncture morose : « Les mises en chantier sont en baisse de 10,2% sur un an à la fin juillet dans le département.Le marché du neuf est pénalisé par une baisse de la création de logements, qui entraîne un manque d'offres et une diminution des réservations, alors que la demande reste paradoxalement soutenue. » A rebours du contexte national, « le marché local de la maison individuelle traverse un trou d'air dont il ne voit pas l'issue. » Le logement social ? « Il est dans l'expectative après le vote de la loi Elan. »
« Les différents marchés immobiliers sont interdépendants », insiste Philippe Deveau : « Les Français changent de logement dans leur parcours résidentiel et en fonction de leur situation de vie. Il est dès lors urgent que l'Etat prenne enfin conscience que pénaliser le logement social ou la construction de maisons neuves, n'est pas la bonne solution. »
Le neuf à la baisse
Dans le neuf, tous les indicateurs sont dans le rouge. « Les mises en vente ont encore baissé de 8% au premier semestre 2019 et les réservations de 11%, après une baisse de 10% en 2018 », se désole Jean-Noël Léon, président de la Fédération des promoteurs immobiliers de Provence (FPI). Dans ce contexte dégradé, le stock commercial peine à s'écouler. Fin juin, plus de 7 500 logements restaient sur le marché, chiffre en hausse de 4% en un an. Le stock actuel représente 10 mois de commercialisation, un délai en deçà de la moyenne normale du marché (13/14 mois). « La majorité des communes ont arrêté de délivrer des permis de construire », un coup de frein qui contribue évidemment « à la réduction de l'offre nouvelle et à l'inflation des prix du foncier et par ricochet des logements », égrène le promoteur.
A Marseille, les prix moyens ont grimpé de + 24% en deux ans, atteignant aujourd'hui le chiffre de 4 870 euros/m2 (parking inclus). Sur Aix-en-Provence, les valeurs restent stratosphériques, à 5 880 euros/m2. Au sein de la métropole Aix-Marseille-Provence, le prix moyen dans le neuf se situe désormais à 4 700 euros/m2, chiffre en hausse de 11% en douze mois. Et l'avenir n'incite guère à l'optimisme. Jean-Noël Léon pointe le futur PLUI (plan local d'urbanisme intercommunal) de Marseille-Provence qui prévoit selon lui une baisse de 40% de la construction de logements dans la ville centre. Et de plaider pour « la verticalisation dans le centre-ville ». Un moyen de lutter contre l'étalement urbain et l'installation des ménages primo-accédants de plus en loin des coeurs d'agglomération.
Les pavillons en berne
Le marché de la maison individuelle est au diapason. Il poursuit sa chute amorcée en 2008. Les ventes sont en recul de - 5% sur douze mois glissants, « une baisse plus marquée qu'au niveau national (- 3%) », soupire Christian de Bénazé, représentant la fédération LCA-FFB (Constructeurs et Aménageurs de la Fédération Française du Bâtiment) Paca. En douze ans, le nombre de ventes de pavillons a quasiment diminué de moitié dans la région, passant de 10 000 à 6 000. Une chute libre imputable à la rareté foncière et aux réformes du financement avec la suppression du prêt à taux zéro et de l'APL accession.
L'ancien s'essouffle
Dans l'ancien, les premiers symptômes d'hypertension du marché apparaissent. « Les prix sont stables et les conditions de financement n'ont jamais été aussi favorables ce qui a encouragé le retour des primo-accédants et des investisseurs actifs pour des biens dont les prix sont inférieurs à 200 000 euros », relève Didier Bertrand, président de la Fnaim Aix-Marseille-Provence. « Il est aujourd'hui moins cher d'acheter que de louer », ajoute l'agent immobilier. Seul hic : l'offre se raréfie. « Dans les zones tendues du territoire, vous avez parfois dix acheteurs pour un même bien. Les marges de négociation sont réduites à néant », observe Didier Bertrand.
Le marché locatif en clair obscur
La tension est également de mise sur le marché locatif. « La mobilité résidentielle poursuit sa chute entamée il y a dix ans pour se fixer à 18,1%, chiffre en baisse de - 35% par rapport à 2008 », note Jean Berthoz, président de l'UNIS Marseille-Provence-Corse. Les loyers sont stables, s'affichant à « 11,7 euros/m2 sur Marseille et 14,9 euros sur Aix », selon l'Adil. « Les locataires plébiscitent le neuf dont les prix via le dispositif Pinel [12,75 euros/m2 à Marseille, NDLR] sont tout à fait cohérents avec le marché local », constate Thierry Moallic, directeur de l'Adil des Bouches-du-Rhône. Et les délais de relocation sont courts, de l'ordre d'un trimestre au maximum pour un appartement ancien.
Les HLM digèrent les réformes
Sur le front du logement social, le moral n'est pas, là non plus, au beau fixe. « Alors que la production HLM départementale s'était inscrite en sérieux repli en 2018 (3 300 HLM agréées sur un objectif de 5 200), les conditions d'une vraie reprise ne sont pas réunies », annonce Pascal Gallard, directeur de l'association régionale des organismes HLM (ARHlm) Paca-Corse. Après la mise en place du RLS (remboursement du loyer de solidarité) et le vote de la loi Elan qui impose un regroupement des organismes dont le patrimoine est inférieur à 12 000 logements, le monde HLM régional est focalisé sur d'autres chantiers que la construction neuve : « Les dirigeants des organismes sont davantage préoccupés par un repositionnement que par la politique de développement », lâche-t-il.
Et localement les signaux envoyés par les politiques ne sont guère encourageants : dans la série des mauvaises nouvelles, Pascal Gallard pointe « le report sine die du vote du premier programme local de l'habitat métropolitain ». Un signal négatif que ne vient pas contrebalancer la mise en place cet été du projet partenarial d'aménagement sur le centre de Marseille. « Ce dispositif qui associe l'Etat, les collectivités, l'Anru, l'Anah, la Caisse des dépôts, l'établissement public foncier régional, Euroméditerranée et l'ARHlm prendra plusieurs années avant de permettre la réalisation de programmes locatifs sociaux en grand nombre dans l'hyper centre du fait de la complexité du montage de ces opérations », prévient Pascal Gallard.