Verre à moitié plein ou à moitié vide ? Alors que le contexte macro économique n’incite guère à l’optimisme, les professionnels de l’immobilier provençal ne boudent pas leur plaisir. « 2022 s’est achevé sur une note positive, avec un important volume de transactions pour le marché de l’ancien. Cette dynamique n’est certes pas propre à notre territoire mais elle confirme à tout le moins l’attractivité de celui-ci, pour les propriétaires occupants comme pour les investisseurs », analyse Arnaud Bastide, le président de l’Observatoire immobilier de Provence (OIP), ce 4 avril, à Marseille, lors de la présentation des résultats des marchés immobiliers des Bouches-du-Rhône pour l'année 2022.
Arnaud Bastide, nouveau président de l’OIP
Les prix de l’ancien en hausse
Symbole de cette embellie, l’ancien a surperformé l’an dernier avec un boom des ventes de 44 %. « 2022 sera à marquer d’une pierre blanche quant au volume de transactions qui ont franchi la barre des 33 000 actes : 20 352 appartements anciens, 3 814 Vefa et 9 991 maisons. Cette année n’a fait que conforter l’idée que la pierre est une valeur refuge », observe Carole Bataillard, de la Chambre des notaires des Bouches-du-Rhône.
Revers de cet engouement des acquéreurs, les prix ont continué à grimper avec des hausses allant de 5,1 % pour les appartements neufs à 8,2 % pour les anciens. Le prix médian des appartements anciens dans le département des Bouches-du-Rhône s’est établi à 3 180 €/m2, avec des hausses sensibles dans la plupart des villes : 8 % à Marseille (3 020 €/m2), 6,1 % à Aix-en-Provence (4 710 €/m2), 8,2 % à Gardanne (3 740 €/m2), 12,9 % à La Ciotat (4 880 €/m2) et Allauch/Plan de Cuques (3 770 €/m2). La palme des valeurs les plus élevées revenant aux zones littorales : la Côte Bleue (6 020 €/m2) et Cassis (6 470 €/m2).
La FPI brandit le spectre d’une crise majeure du logement
Signes d’essoufflement ?
« Jusqu’au troisième trimestre, les acquéreurs ont bénéficié de taux d’intérêts attractifs », note la notaire. Mais cette dynamique semble toutefois marquer le pas. « Depuis cet automne, des signes d’essoufflement se font jour en raison de la difficulté des candidats acquéreurs à obtenir un financement à cause du taux d’usure publié à trois mois », explique Carole Bataillard. Nombre de promesses de vente ont ainsi dû faire l’objet de prorogation avec un report de la signature des actes de vente au début 2023. La confiance s’érode. « Bien que les prix aient augmenté, bon nombre de vendeurs-acquéreurs ont des doutes quant au bien immobilier qu’ils pourront acquérir en cas de vente du leur. Les primo-accédants ont du mal à obtenir un financement sauf à se porter acquéreurs dans un programme neuf pour bénéficier de prêts aidés », décrypte la notaire. Ce resserrement de l’accès au crédit annonce des jours moins ensoleillés. « Les prix vont se stabiliser voire amorcer une décrue », annonce Carole Bataillard.
Bouches-du-Rhône : le marché immobilier attend la relance
Le neuf dans le mur
Dans le neuf, le verre est presque vide. « Cela fait trois ans que l’on dit que l’on va dans le mur. Eh bien, nous y sommes ! Tous les indicateurs sont dans le rouge : la hausse brutale conjuguée des coûts de construction et des taux bancaires nous place dans une impasse. Depuis quinze ans, on s’était habitué à vivre avec l’argent gratuit. Le taux Euribor qui était à 0 en 2021 est aujourd’hui à 2,4 %. C’est un choc d’une ampleur inédite », soupire Arnaud Bastide, le président de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI) de Provence qui préside également l’OIP. Conséquence, la spirale baissière s’accélère : avec « seulement 5 574 logements commercialisés l’an dernier à l’échelle de la Provence, les mises en vente ont chuté de 44 % sur un an », se désole le promoteur.
Les mises en vente en berne
A Marseille, le gadin est spectaculaire : « Avec 1 224 mises en vente, chiffre en baisse de 46 % par rapport à 2021, on a enregistré le volume le plus bas depuis 2006, un plancher encore plus bas que le niveau enregistré au cours de l’année 2020 marquée par la crise sanitaire (1 761 unités) », décrit Arnaud Bastide. Les réservations suivent la même courbe : en chute de 40 % sur la ville de Marseille (1 681), niveau le plus bas historique. Et le stock à fin décembre 2022 est réduit à peau de chagrin (- 22 %), à un niveau jamais observé avec moins de 1 500 logements disponibles à la vente sur le département. « Il faut remonter à décembre 2009, marqué par la crise financière, pour retrouver un niveau aussi faible (1 193 logements). On est à moins de trois mois de stock sur la métropole, soit quasiment rien... », s’inquiète le patron de la FPI qui joue les Cassandre en présidant « une aggravation de la crise dans les deux années à venir » du fait de la pénurie d’offre nouvelle.
PLH vs permis
Malgré les Etats généraux du logement de la ville de Marseille et l’adoption du programme local de l’habitat (PLH) métropolitain qui marquent l’amorce d’une prise de conscience politique de l’urgence, le promoteur ne croit pas aux lendemains qui chantent. « Le PLH est enfin là. Mais il propose la production de 11 000 logements par an, un chiffre un peu moins important que les 12 400 prévus initialement. Et pour construire 11 000 logements, il faudrait 20 000 autorisations du fait des recours et de la frilosité des élus qui souhaitent toujours que l’on construise moins que ce qui est permis par les documents d’urbanisme. Or, nous en sommes très loin aujourd’hui », objecte Arnaud Bastide.

Alors que le nombre de permis de construire est reparti à la hausse dans Marseille l’an dernier (plus de 3 800 logements autorisés), le président de la FPI relativise : « Il y a eu 3 428 logements collectifs autorisés. Et un tiers de cette offre concerne des logements à thème : résidences sénior, logements étudiants, qui ne répondent pas aux besoins des familles et des primo-accédants ».
Dans ce contexte de raréfaction de l’offre, la hausse des prix des logements collectifs neufs (en TVA 20 %) se poursuit. A 5 179 €/m2, ils ont encore progressé de 8 % en 2022 par rapport à 2021 sur le territoire provençal. Sur l’aire métropolitaine, la hausse a été plus modérée : 2 % (5 281 €/m2), une évolution similaire à celle enregistrée sur le territoire marseillais (5 337 €/m2). A Aix-en-Provence, dégoter un toit dans le neuf reste réservé à une élite : le prix moyen d’un logement dans la ville de Cézanne s’affiche à 6 487 €/m2, chiffre en hausse de 3 % sur un an.
Bouches-du-Rhône : le marché immobilier de l’ancien est resté dynamique en 2022
Le stock du parc locatif en chute libre à Marseille
Sur le marché locatif, le verre est plus que vide... renversé même. Les vents contraires soufflent en tempête. « A Marseille, la pénurie est là : en un an, les offres locatives ont dégringolé de 88,8 %, avec une accélération marquée entre le 3e trimestre et le 4e trimestre 2022 (- 48 %) », s’alarme Nicolas Rastit, président de l’Unis Marseille-Provence-Corse. Cette tension s’accroît avec l’essor des locations de courtes durées type Airbnb qui retire une part significative de logements du parc de location longue durée.
Autre frein : la nouvelle réglementation thermique qui va exclure du marché locatif les logements les plus énergivores (étiquettes E, F et G, soit 34 % du parc privé).
« Jusqu’à 100 000 logements du parc locatif privé pourraient être concernés par l’interdiction de mise en location des biens étiquetés E, F et G, à l’horizon 2034 », annonce Thierry Moallic. Et le directeur de l’Adil des Bouches-du-Rhône de pointer « l’inertie de la plupart des propriétaires bailleurs qui n’ont pas anticipé l’obligation de réalisation de travaux de mise aux normes énergétiques de leur logement ni même les impacts de la législation en termes de gel de loyer ou d’interdiction de mise en location ».
A l’instar de la situation parisienne, un nombre croissant de bailleurs préfèrent délivrer un congé pour vente à leur locataire afin d’éviter de réaliser les travaux de rénovation énergétique. Résultat, la plupart de ces logements quittent définitivement le parc locatif privé et sont acquis par des accédants à la propriété. Une sortie qui explique le rabougrissement de l’offre locative.

Le spectre d’un marché locatif underground
Le directeur de l’Adil brandit le spectre de l’émergence d’un « marché locatif underground » avec des propriétaires bailleurs décidant de gérer en direct leur logement pour contourner les obligations qui pèsent sur les agences.
Alors que l’offre locative privée se réduit, « les loyers sont relativement stables » constate Nicolas Rastit. A Marseille, le loyer médian se situe à 12,13 €/m2, avec des variations entre le 1er arrondissement (10,81 €/m2) et le 9e (12,46 €/m2).
A Aix, les valeurs locatives restent en haute altitude avec une médiane fixée à 15,28 €/m2, niveau stable depuis un an. Sur le cours Mirabeau, le stock de biens à la location est lui aussi en baisse, mais de manière nettement moins drastique que sur le Vieux Port : - 7,75 %.
Dans ce climat dépressif, le spectre de voir les loyers encadrés dans la ville centre apparaît comme un remède pire que le mal pour les agences. « Depuis trois ans, les loyers n’augmentent quasiment pas. Et ils sont déjà encadrés par l’IRL (indice de référence des loyers) qui a augmenté de 3 % en 2022, argumente le président de l’Unis. Alors que les propriétaires bailleurs sont déjà pressurisés par l’obligation de travaux de rénovation énergétique, leur imposer l’encadrement serait un très mauvais signal », avertit Nicolas Rastit.
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Le logement social voit ses listes d’attente s’allonger
Premier maillon de la chaîne de l’habitat, le logement social est lui aussi sous tension. Symptôme de la réduction du stock de biens locatifs privés, la demande d’HLM grimpe en flèche. « Fin février 2023, on recensait 100 370 demandes de logement social, un chiffre en hausse de plus de 10 % sur douze mois (90 585 demandes début 2022) », constate Robin Hamadi, directeur de l’association régionale pour l’habitat social (ARHS). Conséquence, le taux de rotation dans le parc social atteint les niveaux franciliens : 4,83 % en 2022 contre 6,7 % en 2020. En 2022, seulement 9 774 logements sociaux ont été attribués dans les Bouches-du-Rhône.
Et les tensions ne devraient pas s’apaiser compte tenu du faible nombre d’agréments enregistrés l’an dernier dans le département : 2 255 HLM, soit à peine plus d’un quart de la production régionale. Une timidité qui s’explique par l’addition des contraintes qui entravent les marges de manœuvres des organismes : la hausse du taux du Livret A, passé de 1 % à 3 % en un an qui représente un surcoût de 150 millions d’euros pour les bailleurs selon le dirigeant de l’ARHS, la flambée de la facture de l’énergie (+100 % pour le gaz et +200 % pour l’électricité) et le renforcement de la réglementation environnementale : RE 2020, ZAN, stratégie bas carbone... Cette conjonction de vents contraires empêche les bailleurs de jouer le rôle contracyclique qu’ils jouent habituellement lors des périodes de crise immobilière.
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Pour une remise à plat de la politique du logement
Pour sortir de l’ornière, les membres de l’OIP en appellent à « une remise à plat de la politique du logement » une fois passé l’épisode de la réforme des retraites. « Nous devrons collectivement interpeller le gouvernement sur cette question essentielle qui transcende les clivages politiques et concerne tous nos concitoyens », conclut Arnaud Bastide.