10 h 30. Des petits groupes épars descendent la Canebière sous un soleil de plomb. Les premiers chants retentissent au loin, le Vieux-Port se remplit doucement sous les couleurs syndicales. Merguez déjà sur le grill, boissons fraîches dans les glacières et banderoles sous le bras, chacun s’apprête à sa manière à vivre cette 11e journée de mobilisation. « 11 ! Vous vous rendez compte ! Et le gouvernement ne flanche toujours pas ! », grommèle Daniel, retraité, « mobilisé depuis le début ! », avant de rejoindre des amis membres de la CFDT.

Ici à Marseille, la grogne collective se mêle à la bonne humeur. On danse, on chante, le Vieux-Port s’anime en chœur. Une foule de jeunes se pressent derrière le drapeau de la MNL (Mouvement national lycéen). Parmi eux, Gaspard, élève en seconde et déjà un style oratoire travaillé. Pas question pour lui de "cesser le combat". « Je pense que c’est important que la jeunesse s’exprime en manifestation parce que c’est le seul instant où on nous entend. On n’a pas le droit de vote et on est très peu écouté dans l’Education Nationale…On est là pour montrer tout le ras-le-bol de ce rejet, du rejet qu’on ressent face au gouvernement », s’exprime le lycéen, à la tête du MNL au lycée Saint-Charles, à Marseille (1er arrondissement).
Une mobilisation inédite
Il est presque 11 heures, manifestants et badauds se fraient un chemin sur le quai du Port devenu presque noir de monde. « Mais c’est vrai, on n’est peut-être moins nombreux cette fois-ci », reconnaît Jean-Paul, membre de la Nupes. « Ce n’est pas un bon indicatif le nombre de manifestants, il y a des gens qui sont mobilisés au sein de leurs entreprises et eux on ne les compte pas ! », renchérit Olivier, sa pancarte "parti de Gauche" à la main. Pour lui, c’est très clair : « On veut la retraite à 60 ans avec 37,5 anuitées. Tout sera financé, c’est possible ! ». Les deux amis, qui ont plus d’une manifestation à leurs actifs, tiennent à insister sur le caractère inédit de ce mouvement, « qui rassemble cette fois tous les profils ». « On a croisé pas mal de gens qui participaient à une manif pour la première fois », poursuivent-ils, avant de se diriger vers l’Hôtel de Ville, où s’amasse une foule autour de Pierrot, l’ambianceur de manif.

A quelques banderoles de lui, Anne-Marie, son gilet floqué CGT sur le dos, s’échauffe la voix. « Après la réforme des retraites ce sera quoi, la sécurité sociale ? ». Responsable de la CGT de l’Hôpital d’Arles, elle a décidé cette fois de rejoindre le cortège marseillais, avec son collègue Nicolas, révolté lui aussi par « l’injustice de cette réforme qui ne considère pas la pénibilité ». Tous deux professionnels de santé, ils sont témoins au quotidien de l’impact du travail sur les corps qui vieillissent. « Il faut savoir que les agents de santé, comme les infirmières, sont passés en catégorie A, donc en carrières longues alors que ce sont des métiers où on commence à fatiguer à 45 ans ! 64 ans à la retraite ce n’est pas possible ! », scandent-ils, unanimes.
A Marseille, on lutte contre cette réforme en chanson (vidéo) :
Appel à la grève dans tous les secteurs
Mais visiblement la réforme des retraites agit comme un étendard révélateur d’un malaise sociétal bien plus profond. « Le combat il va au-delà de cette réforme. Le 49,3 traduit une crise démocratique très grave ! Il faut plus que jamais mener une lutte de classe et reconduire la grève dans beaucoup de secteurs. On veut un changement radical ! », s’embrase Sébastien, en dévoilant la couverture du journal marxiste Revolution, dont il est rédacteur.
« Le point vraiment positif du mouvement social c’est qu’il y a cette fois une vraie intersyndicale, CGT et CFDT œuvrent enfin ensemble », se réjouit de son côté Fabrice, membre cégétiste. Aux abords du rassemblement de la CFDT, même constat sans appel : « Ça fait un bien fou cet union, on est forcément plus fort ensemble », glisse Jean-François, militant depuis "toujours".
Il est midi… le Vieux Port s’est paré d’un costume de révolutionnaire, le cortège s’élance…