5 novembre 2018. 5 novembre 2023. 63-65 et 67 de la rue d’Aubagne. A Marseille, 5 ans après le drame de l’effondrement des immeubles de la rue d'Aubagne qui a causé la mort de 8 personnes, où en est-on ? Les chantiers de la reconstruction sont judiciaires, politiques, administratifs, sociaux et culturels. Explications.
L’enquête judiciaire de la rue d’Aubagne terminée
L’enquête judiciaire des effondrements de la rue d’Aubagne est désormais terminée. Comme révélé par Marsactu, les trois juges chargés de ce dossier ont officiellement bouclé leur instruction le 18 octobre. Un procès pourrait avoir lieu dès 2024, une fois le réquisitoire définitif pris par le parquet.
Deux personnes morales sont visés par la justice : Marseille Habitat, le bailleur social de la ville, propriétaire de l’immeuble inhabité, au 63 de la rue d'Aubagne, et aussi le syndic Liautard, qui était gérant de la copropriété du 65, là où vivaient les victimes. Cet immeuble avait été inspecté par un expert, quelques jours à peine avant les effondrements.
Jean-Claude Gaudin, seulement entendu comme témoin, ne sera pas sur le banc des prévenus. Lors de son témoignage, l'ancien maire avait confié à ses juges : « C’est un drame horrible. J’y pense quotidiennement et j’y penserai jusqu’à la fin de mes jours ». Mais c'est seulement un de ses anciens adjoints, Julien Ruas, chargé de la prévention et de la gestion des risques, qui devrait, lui, être jugé. Il a été mis en examen pour homicides involontaires par violation délibérée, blessures involontaires par violation délibérée et mise en danger délibérée d’autrui. Il s’agit du seul élu concerné par la justice dans cette affaire.
Les familles des victimes de la rue d'Aubagne attendent beaucoup de la justice pour établir les responsabilités des uns et des autres. Marseille, elle espère pouvoir tourner la page médiatique du dossier, même s’il reste encore beaucoup à faire en matière de lutte contre le logement indigne dans la cité phocéenne…
Quelle reconstruction pour la « dent creuse » de la rue d’Aubagne ?
Cinq ans après le drame, les 63-65 et 67 de la rue d’Aubagne gardent les stigmates de l’effondrement. Une « dent » creuse perdure là où les immeubles se sont effondrés. Ce lieu est devenu un endroit de mémoire pour les familles de victimes et les habitants du quartier. Mais il ne restera pas en l’état. C’est un « lieu ressources, ouvert à tous » qui fera son apparition, selon la ville. Cinq équipes d’architectes et paysagistes vont concourir, pour un projet qui sera dévoilé au premier trimestre 2024.
« Sur le site de l’effondrement, la Ville a inscrit au Plan Local d’Urbanisme une servitude pour un équipement public. En effet, à la suite de la contribution citoyenne organisée par la Mairie de secteur, il est apparu nécessaire, ni de le laisser vide, ni d’y remettre un immeuble d’habitation, et de cheminer, avec les familles des victimes, vers un équipement ouvert au quartier et aux enfants » confirme Sophie Camard, la maire d’arrondissement.
« A court terme, conformément à la délibération du Conseil municipal du 7 juillet 2023, un lieu ressources évolutif sera implanté sur le site d’ici l’année prochaine. La Ville a publié l’appel à candidatures fin août 2023. Un comité de sélection s’est réuni le mardi 24 octobre 2023 qui a rendu son avis sur le choix de 5 équipes d’architectes et paysagistes aptes à concourir. Le projet lauréat devrait être choisi à la fin du mois de janvier 2024 » détaille Mme Camard.
Pour les autres immeubles entre les mains de la SPLA-IN, l’avenir est plus flou. Seront-ils démolis, réhabilités ? Au sein de la municipalité, on espère éviter deux écueils : transformer ce cœur populaire de la ville en « boboland », ou répliquer Euroméditerranée, quartier ultramoderne bâti à la place d’anciens docks. « On veut faire de la haute couture, mais ça va prendre plus de temps », explique Patrick Amico, adjoint au Logement à la ville de Marseille.
« Au bout de deux ans de procédures, l’Établissement public foncier (EPF) a finalisé le 3 octobre l’acquisition de la totalité des 85 logements et des neuf commerces composant ce linéaire », a annoncé la ville de Marseille. « D’ici à la fin de l’année, ces bâtiments vont être cédés à la SPLA-IN, la société publique locale d’aménagement d’intérêt national créée pour mettre en œuvre le projet Marseille Horizon, une stratégie à 15 ans échafaudée après ce drame pour les 1 000 hectares du centre-ville gangrenés par l’habitat indigne » ajoute Mme Camard.
Les acteurs publics de la mairie et de la métropole se sont engagés à ce que 70 % des futurs appartements du 69 au 83 soient des logements sociaux, avait affirmé Mathilde Chaboche, alors adjointe à l’Urbanisme, en octobre 2022. Car le manque de logements accessibles est patent au cœur de la deuxième ville de France. « Si on parle (du quartier) de la rue d’Aubagne, on a à peu près 95 % de la population éligible au logement social et seulement 8 % de logements sociaux », soulignait en novembre 2022 le maire de Marseille, Benoît Payan.
Le sujet de l’habitat indigne à Marseille
Cinq ans après l’effondrement de deux immeubles et la mort de huit personnes, la question de l’habitat indigne hante le centre-ville de Marseille. 2 000 Marseillais ont dû être évacués de leurs logements… En se promenant dans le centre-ville de Marseille, ou dans certains quartiers de sa périphérie, on constate que le lourd dossier de la lutte contre l’habitat indigne est à peine ouvert…
#Marseille | 5 ans après l’effondrement de la rue d’Aubagne nous n’oublions pas les 8 victimes qui ont perdu la vie dans ce terrible drame.
— Sabrina Agresti-Roubache (@SabrinaRoubache) November 5, 2023
La lutte contre l’habitat indigne et les copropriétés dégradées est une priorité du plan Marseille en Grand initié par le Président de la…
Il s’agit d’un combat collectif porté par la maire, la métropole et l’Etat. Emmanel Macron, lors de son déplacement à Marseille cet été l'a rappelé. Dans le cadre du Plan Marseille en grand, un véritable plan Marshall a été mis en place par l’Etat, les collectivités et les partenaires de la chaîne du logement pour s’attaquer au chantier de l’éradication des taudis dans les 1 000 ha de l’hypercentre de la deuxième ville du pays. Il est notamment entre les mains de Sabrina Agresti-Roubache, la nouvelle secrétaire d'Etat, ancienne député marseillaise.
Pour mener à bien ce travail herculéen, qui doit s’attaquer à des immeubles privés, avec divers propriétaires et des immeubles du parc social, les élus ont un outil : la société publique locale d’aménagement d’intérêt national ou SPLA-IN. Créée par l’État, la Métropole Aix-Marseille-Provence et la Ville de Marseille elle est là pour mener la lutte contre l’habitat dégradé sur le territoire métropolitain. La SPLA-IN dispose d’un capital social de 14,29 M€ détenu par la Métropole AMP (59 %), l’État, représenté par l’EPA Euroméditerranée (35 %) et la Ville de Marseille (6 %). Elle est présidée par David Ytier, l’élu de la ville de Salon-de-Provence et vice-président de la métropole. La SPLA-IN est entrée en action.
De cette mobilisation est né un PPA, pour projet partenarial d’aménagement. Mais « la feuille de route du PPA s’inscrit dans la durée, sur le temps long » reconnaissait, dans une interview à TPBM, David Ytier, le vice-président de la métropole en charge du logement.
Des premières opérations concrètes ont déjà eu lieu, comme la rénovation par Urbanis de logements et leur transfert à la SPLA-IN. La suite va s’écrire dans des îlots bien définis, avec l’intervention de bailleurs sociaux pour acheter, rénover et remettre sur le marché de la location sociale les biens. Un long, très long combat et chantier…
Marseille, ville où il est difficile de se loger
Au-delà de la lutte contre l’habitat indigne, le logement reste au cœur de nombreux enjeux à Marseille : le manque de constructions de logements, dans le secteur public comme privé, accompagné de l’augmentation des coûts de la construction, de la concurrence déloyale des locations de courtes durées, type Airbnb et d’une forte demande a fait augmenter au-delà du le prix des loyers et des biens immobiliers, si bien que Marseille est devenue une ville où il est difficile de se loger.
Le sujet des permis de construire, pas suffisamment accordés par la ville, selon les détracteurs de la majorité et les promoteurs, est au centre d’une polémique, qui a notamment valu à Mathilde Chaboche, l’ancienne adjointe à l’urbanisme, son départ… Elle a depuis été remplacée par Eric Méry, mais le sujet du logement est traité directement par Benoît Payan et Patrick Amico. Rappelons que la Ville de Marseille est sous la menace d’un constat de carence préfectoral pour ne pas avoir suffisamment produit de logements sociaux au cours de la période 2020-2022. Ce déficit illustre l’ampleur de la crise du logement.
Pour mettre en lumière sa politique, la ville avait organisé, Les Etats généraux du logement de la ville de Marseille. Ils ont débouché sur la signature d’une trentaine d’engagements pour un logement accessible et digne et une feuille de route partenariale contenant des mesures phares réclamées par la municipalité.
La tribune de Benoît Payan dans le Monde contre les marchands de sommeil
Alors que la lutte contre l’habitat indigne est complexe et ne va pas aussi vite que le tempo-politique et médiatique l’exigerait, Benoît Payan le maire de Marseille, a signé samedi dans Le Monde une tribune, dans le lequel il s’attaque aux marchands de sommeil. « Je veux que les marchands de sommeil ne dorment plus » répète souvent l’élu.
Il y a 5 ans, 8 Marseillaises et Marseillais perdaient la vie dans l'effondrement des immeubles rue d'Aubagne.
— Benoît Payan (@BenoitPayan) November 5, 2023
Marseille n’oublie pas.
Nous poursuivons sans relâche notre lutte contre l'habitat indigne et pour l'accès au logement pour tous. pic.twitter.com/nNRd57g0Yb
Dans cette tribune Benoît Payan appelle à légiférer pour reconnaître le délit de « marchand de sommeil » et renforcer les sanctions pénales à leur encontre. « Posons enfin, dans la loi, une définition claire et sans équivoque du marchand de sommeil et de ses agissements » écrit le maire. « Face à la crise de l’habitat, il convient d’adopter des mesures fermes à l’encontre des propriétaires faisant du trafic de logements indignes un commerce lucratif, s’indigne le maire de Marseille, qui s’apprête à déposer un projet de loi dans ce sens » ajoute le maire, qui a fait du combat contre l’habitat indigne une de ses priorités politiques.
Le film de Robert Guédiguian sur la rue d’Aubagne bientôt dans les salles
Dans ce contexte très lourd, un regard plus léger sur le drame de la rue d’Aubagne, et notamment ses conséquences politiques, arrive en salle le 15 novembre… Robert Guédiguian, le réalisateur marseillais va dévoiler « Et que la fête continue ! » un film inspiré des évènements du 5 novembre 2018.
Co-écrit avec l’écrivain Serge Valletti, autre marseillais et homme de théâtre ce film évoque la mobilisation de Rosa et son engagement en faveur de sa ville, dans la campagne des municipales. Rosa, jouée par Ariane Ascaride, a été largement inspirée par Michèle Rubirola comme le reconnaît Robert Guédiguian, qui se défend toutefois d’avoir fait un film historique.
Les conséquences politiques de la rue d'Aubagne
Ce film rappelle que le drame de la rue d’Aubagne n’a pas seulement eu des conséquences humaines et matérielles, mais politiques. Il a participé à l’effondrement de la maison Gaudin et de la droite marseillaise. Portée par la colère des habitants de tout un quartier, puis par l’engagement de certains en politique, le Printemps marseillais a transformé cette énergie en action politique. « Je pense que sans les mobilisations populaires après la tragédie de la rue d’Aubagne, la gauche n’aurait pas emporté la mairie » souligne le réalisateur marseillais. C’est cette marche politique qui intéresse Robert Guédiguian dans son nouveau film inspiré du drame de la rue d’Aubagne.
C'est aussi sur sa capacité à traiter le dossier du mal logement et de l’accès au logement que la majorité actuelle de Marseille sera jugée, lors des prochains élections municipales...