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Crédit agricole Alpes Provence

Serge Magdeleine : « Nous allons vers un monde qui se divise de plus en plus »

Serge Magdeleine, le directeur général du Crédit agricole Alpes Provence (CAAP), revient sur les résultats annuels de sa banque, analyse la situation économique et se projette sur les mois à venir. Une vision prudente mais foncièrement optimiste.
Serge Magdeleine est directeur général du Crédit agricole Alpes Provence.
Frédéric Delmonte - Serge Magdeleine est directeur général du Crédit agricole Alpes Provence.

Economie Publié le , Propos recueillis par Caroline DUPUY

Les Nouvelles Publications : Malgré un contexte économique troublé, vos résultats annuels, pour l’année 2022, sont bons. Comment expliquez-vous ce phénomène ?

Serge Magdeleine : Le Produit net bancaire (PNB) 2022 du Crédit agricole Alpes Provence (CAAP) s’élève à 440 M€, en progression de 6 %. Et son résultat net atteint 101 M€, soit une hausse de 20 %. Ces résultats sont solides. Trois facteurs permettent d’expliquer ces bons chiffres. Deux sont des éléments de marché et le troisième est propre au CAAP.

Tout d’abord, nous nous trouvons dans un territoire attractif et en croissance. Pour une banque du territoire qui ne peut se développer que sur son territoire, quand celui-ci va bien, mécaniquement nous sommes portés vers le haut. C’est ainsi que les entreprises du territoire, selon les chiffres de la Banque de France, ont vu leur chiffre d’affaires augmenter de 12 % en 2022 (par rapport à 2021).

Deuxièmement, l’économie a bénéficié d’une liquidité abondante décidée politiquement, le « quoi qu’il en coûte » qui a permis d’éviter des défaillances d’entreprises. En 2022, par rapport à 2019, il y a eu 40 % de défaillances d’entreprises en moins. Donc moins de défaillances d’entreprises signifie, pour les banques, moins de coût du risque. Et donc de meilleurs résultats.

Le troisième aspect concerne notre stratégie. Nous avons, plus tôt que les concurrents, anticipé le virage du digital. Cela s’est vu dans nos résultats commerciaux et donc dans nos résultats financiers.

Je rappelle enfin que nous sommes une banque universelle. Nous sommes tous clients, tous marchés, tous produits. Le modèle d’universalité est un modèle résilient car il est extrêmement diversifié. Quand la situation économique est perturbée sur un créneau, on peut se renforcer sur un autre.

Comment voyez-vous le contexte économique pour l’année 2023 ?

Je n’ai pas de boule de cristal et force est de constater que nous avons été secoués, et nous sommes encore secoués, par ce que j’appelle les « 3C » : crise du climat, crise de la covid et crise du conflit russo-ukrainien. Mais une crise, par définition, correspond à une transition brutale d’un état d’avant à un état d’après. Les crises créent donc des divisions entre ceux qui veulent s’accrocher à l’état d’avant et ceux qui ont hâte d’aller à l’étape d’après.

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J’ai donc le sentiment que nous allons vers un monde qui se divise de plus en plus. Des blocs sont en train de s’affronter. Bref, nous allons vers un monde démondialisé.

Qu’est-ce que cela veut dire concrètement ?

Cela fait 70 ans que l’on tend vers un monde mondialisé, notamment pour produire, ailleurs, au plus bas coût. Nous sommes allés toujours plus loin : Europe, Maghreb, Asie du Sud-Est, Chine, etc. Nous sommes allés le plus loin possible et aujourd’hui, on assiste à la fin de la mondialisation. Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les économistes. Et pour cause, on ne peut pas faire plus que le tour de la planète. De plus, pour des raisons environnementales, il est aujourd’hui inique de faire venir chez nous un composant qui vient de loin pour quelques centimes d’euros de gagnés.

Enfin, nous nous sommes rendu compte que nous n’avions plus accès à des masques, des médicaments, de l’énergie. Alors, pour des raisons desouveraineté, nous devons revenir à une production plus proche, plus maîtrisée. En Europe, en France, et j’espère également aussi dans la métropole.

Avec quelles conséquences sur les prix ?

Si la mondialisation a permis un abaissement progressif des coûts de production, il est fort à parier que la démondialisation va entraîner des hausses de coûts de production, car nous allons recréer des usines ici. Qui dit usine, dit besoin en acier, verre, bois, en main-d’œuvre, en ingénierie. Et donc des tensions inflationnistes.

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Ma perception de l’inflation est la suivante : temps 1, une inflation conjoncturelle liée à la désorganisation de la covid ; temps 2, la guerre en Ukraine et le choc énergétique que cela a produit, avec des répercussions sur l’ensemble des biens manufacturés produits avec de l’énergie. Le temps 3 est en cours. Selon moi, nous allons vers une inflation structurelle liée à la démondialisation. La hausse des prix ne va sans doute pas s’arrêter à l’été 2023.

Mais c’est une chance pour notre région de regagner des parts de marché industriel. Soyons ceux qui facilitent les conditions pour qu’on réindustrialise de manière souveraine notre métropole. Je vois donc des opportunités dans la démondialisation. Le rôle des banques est majeur.

« Nous avons, plus tôt que les concurrents, anticipé le virage du digital », se félicite Serge Magdeleine. (Crédit : Frédéric Delmonte)

Vous parliez de digitalisation, comment vous organisez-vous au sein de votre banque, de vos agences ?

Nous sommes une banque humaine avec 2 200 collaborateurs sur le territoire. Et des élus qui représentent notre clientèle. Pour autant, nous ne sommes pas archaïques, nous avons su évoluer, nous moderniser au fil des ans. Aujourd’hui, 60 % de nos clients utilisent l’application bancaire pour se connecter. 20 % de nos collaborateurs dans le réseau de proximité ont moins de 30 ans et sont donc nés après Google ! Cela nous a poussés à nous digitaliser.

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Concrètement, 41 % de nos rendez-vous en 2022 sont des rendez-vous à distance. Et nous avons réalisé 600 M€ de crédits habitat par Internet. CAAP est une banque humaine et digitale. Cela explique en bonne partie notre succès.

Justement, de quelles façons votre banque réinvestit-elle ses bénéfices dans le territoire ?

Nous faisons environ 400 M€ de chiffre d’affaires. Un quart va à la rémunération des collaborateurs, un quart pour les impôts et taxes, un quart pour les fournisseurs et un quart est réinjecté dans notre bilan pour pouvoir continuer de prêter et suivre la croissance de notre territoire.

Quelle est votre cible prioritaire ?

En termes de priorisation, nous n’avons pas de stratégie. Notre vocation est d’accompagner le marché. Si le marché est en croissance sur l’habitat, ce qui n’est pas le cas, on sert l’habitat. S’il s’agit de l’industrie, nous y allons. Nous suivons le marché plutôt que de le restreindre avec des contingences chiffrées. Mais grosso modo, la moitié va aux particuliers et l’autre moitié aux entreprises.

Notre chiffre d'affaires est lui aussi équilibré : 52 % proviennent des particuliers et 48 % des entreprises.

Quelle est la situation de l’habitat, aujourd’hui ?

L’habitat, au premier trimestre 2023, enregistre un repli de 22 %. C’est un choc. Il faut le dire et que les pouvoirs publics en aient conscience. Plusieurs difficultés sont à signaler : les clients peinent à emprunter avec la hausse des taux et les mises en chantier, en Paca, affichent - 10 %. L’habitat est clairement pris en sandwich, avec d’un côté les phénomènes environnementaux qui imposent une raréfaction des permis de construire délivrés car les PLU [Plans locaux d’urbanisme, NDLR] ne permettent plus de construire n’importe comment, et de l’autre côté la désolvabilisation des ménages du fait de la hausse des taux.

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Les conséquences sont terribles pour les ménages, mais aussi pour tout le secteur de la construction et pour l’économie. Il y a un énorme coup de frein de l’habitat. Or, 8 % du PIB [Produit intérieur brut, NDLR] en France provient du bâtiment et du dérivé du bâtiment. Si vous faîtes - 22 % sur un secteur qui représente 8 % de votre économie, vous perdez 1,6 % de croissance.

Comment percevez-vous la santé des entreprises aujourd’hui ?

A date, nous n’observons pas, significativement, une hausse du risque entreprise. Pour autant, des points d’inquiétudes existent. Tout d’abord, nous constatons une augmentation des incidents FICP [Fichier des incidents de remboursement des crédits aux particuliers, NDLR], de l’ordre de + 50 % d’entrées mensuelles de clients FICP. C'est le début d’une paupérisation des particuliers qui achètent aux entreprises. Il y a 75 000 entrées par mois au FICP quand 50 000 il y a peu.

En termes de défaillances d’entreprises, à la fin du premier trimestre, on en a 12 % de moins qu’en 2019. Mais si je regarde bien, les TPE font + 40 % de défaillances par rapport à 2019. Et les PME + 46 %. Ça, ce n’est pas bon. Enfin, les tribunaux de commerce nous disent que 77 % des entreprises qui entrent en procédure collective vont directement en liquidation judiciaire. Deux phénomènes qui montrent que la santé des entreprises est en train de se détériorer. S’ajoute à cela le mal-être de certains entrepreneurs qui baissent les bras avec toutes ces crises.

«Nous agissons au sein de notre entreprise en réduisant de 50 % nos émissions de CO2 en dix ans », souligne le directeur général du Crédit agricole Alpes Provence. (Crédit : Frédéric Delmonte)

Que pensez-vous de l'accroissement du nombre d’autoentrepreneurs ?

C’est une autre forme d’entrepreneuriat. Il y a 4,5 millions d’autoentrepreneurs en France, c’est un phénomène. Et ce chiffre croît de 12 % par an. Ce sont des petites structures, avec plus de libertés et de précarité, et les banques doivent adapter leur service bancaire et assurance à cette clientèle de Travailleurs non salariés (TNS). C’est-à-dire ni des particuliers ni des entreprises.

Ils ont par exemple moins besoin de financement mais plus besoin de services pour leur faciliter la comptabilité, la TVA, la gestion des flux etc. Nous avons ainsi lancé Propulse, une nouvelle gamme d’offres pour les néo-entrepreneurs. Pour quelques euros par mois, on leur fournit un compte, une carte bancaire et l’accès à tous les services de comptabilité, de déclaration de TVA automatisées.

Comment le CAAP se positionne-t-il en tant qu’acteur de la transition environnementale ?

Nous ne faisons pas du green washing. Du reste, nous sommes membres de la Conférence des entreprises pour le climat (CEC). Nous avons une stratégie de transition en trois axes. Tout d’abord, il faut s’adapter, c’est-à-dire organiser la décarbonation du logement, du système de chauffage, des systèmes de production agricole etc., en finançant les nouvelles énergies.

Il est important aussi d’atténuerles problèmes. Concrètement, j’ai la conviction que l’on va se prendre le mur climatique. Il faut espérer que ça ne soit pas à grande vitesse. Il faut donc rendre nos infrastructures de production agricole, de production industrielle, nos logements résilients face au choc climatique (sécheresse, inondation, montée des eaux).

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Enfin, il est nécessaire de mettre en place une transition juste pour que cette dernière ne crée pas plus d’inégalité qu’aujourd’hui. Il faut que les populations les plus pauvres puissent organiser cette transition. Il faut des produits adaptés. Il faut peut-être que les plus fortunés subventionnent les moins fortunés. Nous réfléchissons à cela.

Sur quels axes intervenez-vous ?

Nous agissons au sein de notre entreprise en réduisant de 50 % nos émissions de CO2 en dix ans. Pour nos clients, on finance la mise en place d’énergies renouvelables. Du reste, nous sommes fiers d’avoir financé l’équivalent de la consommation en énergie de la ville de Marseille. On propose également des solutions pour que nos clients organisent eux-mêmes leur énergie : toit photovoltaïque de la maison individuelle en partenariat avec France Renov’, outil photovoltaïque sur le parking des entreprises pour être en autoconsommation.

Pour ce faire, nous allons devenir opérateur d’énergie. Nous allons investir 20 M€ par an dans les énergies renouvelables en tant qu’investisseur, jusqu’à atteindre 100 M€ d’investissement. Objectif : accompagner tous nos clients dans la transition de leur mécanisme de fabrication d’énergie. Nous créons une foncière dans laquelle on va mettre tous les toits photovoltaïques de nos clients qui n’auront pas les moyens de payer ou d’investir dans un toit photovoltaïque. Concrètement, si vous voulez quand même être en autoconsommation et avoir une énergie verte mais que vous ne pouvez pas vous la payer, c’est le CAAP qui va être propriétaire de ce toit.

Cette foncière, baptisée Crédit agricole Transition énergétique, est prête et va donc être alimentée de 20 M€ chaque année. Nous organisons la fourniture d’une solution verte clés en main pour les particuliers et les entreprises.

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