La Ville de Marseille joue-t-elle la montre ? Ou plutôt est-elle lancée dans une course contre le temps, consciente qu’elle a commis une erreur et qu’elle va devoir rectifier le tir ? C’est que devoir rembourser au total 50 millions d’euros à quelque 175 000 propriétaires marseillais n’est pas une mince affaire. Dans un souci de respect du contradictoire, le tribunal administratif de Marseille a donc rouvert les débats, jeudi 6 avril, pour laisser la parole à chacune des parties, sachant que le rapporteur public allait conclure une nouvelle fois dans le sens de l’annulation de la délibération du 8 avril 2022 qui pose problème.
Le tribunal administratif de Marseille veut rester « une juridiction dans la cité »
Tout le monde est aujourd’hui d’accord sur le fait que les élus au conseil municipal ont été insuffisamment informés. L’idée a fini par cheminer dans les consciences.
Un délai au 30 septembre ou au 31 décembre ?
Finalement, le rapporteur public a proposé au tribunal, jeudi 6 avril, de prononcer l’annulation mais avec un effet différé au 30 septembre. Ce qui permettrait à la municipalité de revoter. La commune de Marseille, qui se retranche derrière « les circonstances manifestement excessives » de cette annulation, lui préférerait la date du 31 décembre, qui priverait de fait et de droit tous les contribuables marseillais de tout recours possible.
« Hérésie », grince Me Jacques Gobert, qui défend 238 propriétaires marseillais et rappelle que « la très grande majorité de ses clients sont pauvres et pris en tenaille entre une retraite stable et des charges en augmentation ». Aussi réclame-t-il « une annulation pure et simple sans quelque délai que ce soit ». Rappelons que la majoration marseillaise de la taxe foncière de 5,4 % sur les propriétés bâties,avec la hausse légale obligatoire, a abouti en 2022 à un accroissement de 17,4 % par rapport à 2021. « Une augmentation qui représente 22 années de hausse », avait relevé Me Gobert, qui avait fustigé le 15 mars son caractère« absolument historique ». De 32 à 239 euros de majoration, selon les foyers, sur la note d’automne réclamée comme chaque année par les services fiscaux.
« C’est pas Tetris, les finances publiques ! »
Quant à Pierre Robin, l’élu d’opposition à la mairie qui a lui aussi attaqué la délibération du 8 avril, il aspire à une annulation rétroactive, ce qui se fait habituellement. « C’est juste un taux qu’il faut changer, plaide-t-il. Il est tout à fait faisable de procéder à ces dégrèvements. » En renonçant à une telle rectification, badine-t-il, « n’importe quelle commune pourrait voter n’importe quel taux. Si elle se fait prendre par la patrouille, on revote et ce n’est pas grave ! »
Evidemment, la Ville de Marseille, par la voix de son avocat, Me Jorge Mendes Constante, ne l’entend pas de cette oreille. Elle stigmatise « une démarche néo-poujadiste » en forme d’« irresponsabilité », déplore cet « appel à l’insurrection budgétaire » et confie à bas bruit ses difficultés pour revoter un budget« avec une recette faussée ». « Nous ne pouvons pas retirer 50 millions d’euros des recettes. C’est pas Tetris, les finances publiques ! », peste l’avocat de la municipalité.
Caustique, le tribunal pourrait aussi décider de ne faire profiter du dégrèvement que les 238 contribuables marseillais qui ont engagé la requête. Il signerait ainsi un chèque en forme de prime au procès en quelque sorte. Décision le 14 avril, jour du prochain conseil municipal de Marseille. Il n’y a pas de coïncidence. Le tribunal administratif ne déteste pas lancer des signaux juridiques à vocation politique…