Les Nouvelles Publications : Les entrepreneurs réclament habituellement une liberté d'action mais ils se félicitent aujourd'hui du soutien de l'Etat pour sauver l'économie. Cette crise bouleverse-t-elle toutes les perceptions ?
Thierry Chaumont : Nous souhaitons effectivement que l'Etat soit le moins interventionniste possible et que les industriels qui compensent par leur intelligence collective les différences de charges sociales bénéficient d'une égalité des chances dans un environnement international très concurrentiel. Mais cette crise, personne ne l'a voulue. L'Etat a suspendu les activités économiques et pris des mesures extrêmement fortes pour que ses impacts s'avèrent les moins dramatiques possibles, notamment avec le chômage partiel pris en charge à 84%, la baisse des impôts de production, le Prêt garanti par l'Etat (PGE), sollicité par un certain nombre de dirigeants par principe de précaution d'autant plus que les banquiers les y encourageaient, l'organisation du télétravail… Ces mesures ont permis d'éviter des plans sociaux et de parvenir aujourd'hui à un secteur industriel qui fonctionne dans notre région à 90%. Indéniablement, à un moment, il faudra payer, l'endettement du pays s'est alourdi. Mais la sortie du premier confinement a démontré une vraie volonté de se remettre au travail, une prise de conscience que sans travail, nous ne parviendrons pas à redresser le pays, que travailler peut manquer parce que c'est vecteur de lien social, de valorisation de l'amour d'un métier… Cet état d'esprit est porteur pour l'avenir. L'UIMM [Union des industries et métiers de la métallurgie, NDLR] a apporté sa part avec son guide de mesures sanitaires qui a permis aux entreprises de redémarrer dans toutes les conditions de sécurité et de faire respecter les gestes barrières. Certaines pratiques, sans doute, pourront se pérenniser. La collaboration a été étroite aussi avec la médecine du travail. Nous avons beaucoup appris dans la première phase de la crise. Je pensais qu'il n'y aurait pas de reconfinement. Malgré tout, notre enquête de conjoncture régionale démontre que le moral des industriels reste plutôt meilleur que je ne l'imaginais, qu'ils ont envie d'investir grâce au plan de relance… Je perçois moins d'inquiétude qu'un réel pragmatisme dans les entreprises.
L'industrie régionale ne repose pas sur une filière ultra-dominante. Est-ce un atout pour la relance ?
Cette diversification atténue déjà des effets de cette crise puisque, en dehors de la construction et de la réparation navale qui souffre beaucoup depuis six mois, les autres secteurs semblent moins touchés. Les grands groupes présents sur notre territoire, comme Airbus Helicopters, STMicroelectronics, ArcelorMittal, Thales, CNIM, même si certains ont rencontré des difficultés, poursuivent leurs activités et permettent à leurs chaînes de sous-traitance de tourner. La situation demeure néanmoins compliquée pour les entreprises exportatrices. La réindustrialisation, le retour d'usines ne s'opèreront pas en France d'un claquement de doigts, ce sera un processus long. Notre industrie est en résilience, la baisse des impôts de production restaure de sa compétitivité, des industriels ont déjà déposé des dossiers pour un soutien de l'Etat à leurs projets d'investissements… Les 35 milliards d'euros que le gouvernement réserve à l'industrie doivent être utilisés. Nous veillons à ce que les entreprises connaissent les dispositifs, n'y renoncent pas sous prétexte de manque de lisibilité ou de complexité des aides proposées. Nous sommes là pour les accompagner et faire en sorte qu'elles s'en saisissent pour améliorer leurs performances dans la décarbonation, le digital...
Faudra-t-il un assouplissement de la législation du travail pour « libérer » les énergies quand cette crise s'atténuera ?
Nous sommes depuis plus de quatre ans engagés dans une refonte totale du dispositif conventionnel, soit plus de 80 textes et conventions collectives cadres et non-cadres à revoir… C'est un énorme chantier en cours de finalisation avec les organisations syndicales de salariés. Le gouvernement suit la démarche de près, même s'il ne s'en mêle pas. Nous refaisons un socle de base. Ce que nous signerons contribuera à l'évolution du droit du travail, du dialogue social, de la protection sociale… Dans cette région, les industriels sont soudés, comme ils l'ont démontré en se fédérant avec Industries Méditerranée, en organisant le Forum de l'Industrie de Demain puis, en 2019, l'Usine Extraordinaire… Le secteur redevient attractif pour les jeunes ainsi qu'en attestent les entrées sur notre Centre de formation par l'apprentissage à Istres. Le nombre de contrats d'alternance est supérieur à nos attentes. L'aide de l'Etat joue. Mais c'est la preuve que les industriels se mobilisent et qu'ils y croient.