La lutte contre les violences intrafamiliales a été érigée au rang de priorité nationale. La parole s’est libérée. Dans le ressort du tribunal judiciaire de Marseille, le nombre de violences constatées en atteste. « Les données chiffrées sont incontestablement à la hausse: + 6 % en zone police, + 2 % en zone gendarmerie », relève, ce jeudi 30 mars, le président du tribunal, Olivier Leurent, en guise de bilan juridictionnel.
Pour la seule année 2022, ce sont plus de 5 500 faits de violences intrafamiliales qui ont été recensés, dont ceux qui ont aussi touché des enfants. Plus de 500 auteurs sont suivis par les services d’insertion et de probation et plus de 300 stages de sensibilisation ont été ordonnés par les magistrats. Au 31 janvier dernier, ce sont 59 téléphones grand danger (TGD) qui étaient mis en circulation et 22 bracelets anti-rapprochement (BAR), ce qui place Marseille en troisième position en France derrière Aix-en-Provence, site pilote, et Bobigny.
Les avantages et les limites du bracelet anti-rapprochement
Au civil, la première vice-présidente Isabelle Imbert est en charge des ordonnances de protection. C’est elle qui décide des interdictions de contact, de paraître au domicile conjugal, voire de détention d’arme. L’an dernier, sur 150 demandes, le tribunal en a prononcé 80. « Il est rare que cela se passe dans la joie et la bonne humeur », témoigne Isabelle Imbert. Un travail difficile, où il faut savoir, chaque jour, peser le pour et le contre, prendre la mesure des preuves que produit chaque partie et de leur portée réelle. « Mais pour les bracelets anti-rapprochement (BAR) par exemple, je ne peux les prononcer que si l’auteur est d’accord. Or j’ai des couples qui ont souvent des centres d’intérêt communs. » La victime doit démontrer qu’elle est exposée à « un danger actuel et immédiat », prescrivent les textes. Six jours pour statuer : il faut au juge se faire une opinion contradictoire et réagir avec promptitude. Dès qu’un auteur s’approche à moins d’un kilomètre de sa victime, le BAR va lancer une alerte au téléopérateur.
A Marseille, il faut compter 100 alertes par jour, avec des auteurs qui s’exposent, en cas d’infraction à l’interdiction, à une peine de deux ans de prison. « L’idée est d’arriver à maîtriser un auteur par tous les moyens, afin qu’il ne recommence pas », explique Isabelle Imbert. « L’ennui, c’est qu’on ne dispose pas de pouvoirs d’investigation. On prend ce qu’on nous donne et on rend une décision », fait observer Isabelle Herbonnière, vice-présidente au pôle civil du tribunal.
Marseille : les magistrats réclament une « grande et belle cité judiciaire »
« Tolérance zéro » au pénal
Au pénal, les choses ont évolué considérablement. Anne Tertian, qui présidente la chambre de la famille, n’hésite pas parler de « tolérance zéro » :
« La politique pénale du parquet consiste à poursuivre quasi systématiquement les non-respects des ordonnances de protection. »
La durée moyenne de ses audiences pénales est de 7 heures et 39 minutes. Difficile de ne pas donner la parole à une victime qui veut la prendre, avec, comme dit Anne Tertian, « des enjeux importants en termes de vies humaines », c’est-à-dire le risque non-dit de féminicide. Sans parler de la période du confinement qui a souvent eu « un effet cocotte-minute ».
Le parquet révoque aussi régulièrement les contrôles judiciaires des maris violents qui ne sont pas respectés, ce qui, pour eux, conduira souvent à la case détention provisoire. « Les choses se sont aussi nettement améliorées dans les procès-verbaux d’audition des victimes. Là où on a neuf pages aujourd’hui, on avait trois lignes hier ! », confie Isabelle Imbert.
Inexorablement, le regard de la société a changé. Il fut même un temps, pas si éloigné que cela, où la première question que les policiers posaient aux plaignantes et qui déterminait tout le reste, était : « Voulez-vous vraiment divorcer ? »
Réseaux sociaux : débordements et anonymat au menu
L’autre sujet de préoccupation majeure du tribunal judiciaire de Marseille est la chasse tous azimuts des débordements constatés sur les réseaux sociaux. Une délinquance en hausse, dont le texte fondateur est la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, révisée en 2020, 2021, puis à deux reprises en 2022. Quelques affaires médiatiques ont porté sur la place publique des injures qui ont pu cibler des "influenceurs".
Le juge civil a pour l’heure rendu dix ordonnances en 2019, trois en 2022 en référé, et octroyé sur le fond à deux reprises des dommages et intérêts qui vont de 2 000 à 3 000 euros. Au pénal, « en droit de la presse, la 11e chambre correctionnelle prononce 40 décisions par an - injures ou diffamations -, dont les deux tiers des publications passent par les réseaux sociaux », note Cécile Pendariès, la présidente de la chambre. Une tendance qui paraît elle aussi inéluctable. « Peut-être, s’interroge le président du tribunal Olivier Leurent, le législateur devrait-il s'interroger sur la question que pose l’anonymat sur les réseaux sociaux ?»